Morale (8): La faille fondamentale de l’utilitarisme

Le collectivisme messianique

L’utilitarisme est une philosophie viciée, avons-nous vu, puisqu’elle peut conduire à tuer volontairement des innocents, au mépris d’une déontologie plus fondamentale à l’être humain. Mais comment est-ce possible, puisqu’elle prétend représenter le D de la soliDarité, c’est-à-dire l’intérêt du plus grand nombre ? Cet ancrage idéaliste a fait le succès des idées de Jeremy Bentham, toujours soutenues par nombre de philosophes contemporains, dont le très en vue Peter Singer.

Cet idéalisme n’est pas sans rappeler celui d’un fameux Messie, venu il y a plus de 2000 ans porter le message ultime du D, toujours largement populaire aujourd’hui. Mais inapplicable en pratique. Personne n’exerce la charité à la manière de Jésus ou l’utilitarisme à la manière de Bentham. Il faut être fils de Dieu ou obsessionnel compulsif pour y arriver. Inhumain, en fait. L’humanité c’est autre chose. C’est concilier intelligemment morale et aléas quotidiens. C’est gérer le conflit entre le monde réel et des idéaux qui ne le décrivent pas du tout, qui en feraient un endroit déshumanisé, morne et insipide si par hasard ils étaient rigoureusement appliqués.

La société n’est pas un collectif de saints

C’est dans cette discordance entre le monde et l’idéal qu’il faut chercher la fausseté de l’utilitarisme. Le D qu’il décrit n’est pas un modèle de la véritable soliDarité qui caractérise la société humaine. C’est une version imaginaire, une abstraction propriétaire d’esprits appelés Bentham ou Singer, qui n’a rien à voir avec celle du monde réel. La vraie solidarité est une propriété du monde réel et non la chasse gardée de quelques T. Le vrai D est un principe dans lequel tous les T peuvent se reconnaître, pas seulement un petit nombre félicité par les autres pour sa sainteté.

L’erreur fondamentale de l’utilitarisme est de n’avoir pas compris la nature du D, qui est de gérer les relations entre les T. La société est un système, pas un être vivant. Or les utilitaristes, dans le dilemme du wagon fou, traitent les individus comme les cellules d’un gigantesque organisme. Il faudrait en perdre le moins possible, pour ne pas menacer la vie de l’entité unique habitant la planète Terre : l’Humanité.

L’égalité = Personne n’est sacrifiable

La société a certes une indépendance vis à vis de ses membres, c’est même l’un des principes fondamentaux de Surimposium. Mais il s’agit d’une indépendance relative. La société ne peut se maintenir sans le bon état de ses membres. Le principe égalitaire prend racine dans les T avant le D. C’est à dire qu’aucun individu n’est sacrifiable. Le “Tu ne tueras point” est un véritable principe collectif parce qu’ancré dans les individus. C’est la survie des T qu’il pointe avant celle du D. Une société utilitariste qui négligerait ce principe est destinée à s’effondrer. Aucun organisme ne survit quand ses molécules se décomposent.

Que le D soit interdit de sacrifice sur les T n’empêche aucunement un T de décider de se sacrifier pour les autres. C’est cela le véritable exercice de la solidarité. Il n’existe pas d’être vivant tel que « l’Humanité », mais nous le faisons exister dans chacun de nos univers mentaux. L’effort solidaire est un effort individuel. C’est la fusion de tous ces efforts solidaires qui fait exister le D.

Une grave erreur de direction

L’utilitariste fait donc une erreur de direction. Il voit le D comme une entité pensante, un nouveau Dieu concrétisé par les humains, et la solidarité comme un geste du D vers les T. Pas du tout. Ce geste ne prend forme qu’en retombée de l’effort de l’individu pour le collectif, qui est la direction première. Faire du D un Dieu bienveillant infantilise l’individu et le dissuade d’un tel effort. « Dieu agira à ma place ».

Pour cette raison, l’utilitarisme a causé une régression de la solidarité authentique dans la société contemporaine. Nous entendons de toutes parts des réclamations telles que « la sécurité sociale me doit… », « l’État a le devoir de… », « l’entreprise doit donner… ». Symptômes d’une perversion du D, qui n’est plus la propriété des individus, mais a été transféré à une divinité supérieure, Sécurité Sociale, État, Capitalisme, qui seraient dotés de ressources indépendantes et illimitées.

La société a la propriété des ressources, pas des vies

La déontologie, qui prône le respect de la personne humaine, est la force fondamentale créant le lien entre individus. Ils forment ainsi une société solidaire, entité supérieure à leurs T, mais pas aux individus pris dans leur complétude, puisque ceux-ci sont aussi le support physique du D. Le D ne peut se maintenir sans respect de l’intégrité des individus.

Redisons-le ainsi : La société n’est pas supérieure aux individus, seulement à leurs ego(s). Lorsqu’il s’agit de partager des ressources, la société peut s’imposer aux ego(s). Lorsqu’il s’agit de la vie des individus, c’est impossible. Ils en sont les seuls propriétaires. C’est la faille cruciale de l’utilitarisme, qui croit pouvoir gérer les vies comme des ressources financières. Non. Nous n’habitons qu’une vie. Elle n’a pas de prix.

Finalement, de deux philosophies inapplicables, je choisis sans hésiter celle de Jésus contre celle de Bentham. Le premier, lui, voulait nous sauver tous. Même l’obèse.

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