Petite toilette pour la pulsion sexuelle

Canal direct ou début du labyrinthe

La pulsion sexuelle peut choisir deux chemins : le premier est assez direct, de la stimulation physique au centre de la récompense. Il est emprunté par les pulsions fortes et impératives, plus dépendantes de notre vivacité physiologique que du contexte. Affranchi de tout questionnement, ce chemin direct ne peut être emprunté que dans les cercles les plus intimes. Le toujours disponible est celui d’avec soi. Auto-stimulation. Le cercle suivant est le couple, co-stimulation des plus sympathiques. Cependant même ce cercle très étroit est attaqué aujourd’hui par la poussée de l’individualisme. Le devoir conjugal a pris une connotation péjorative. Il faut déjà s’engager, dès qu’un tiers est impliqué, dans le second chemin, celui des codes sociaux.

Le second chemin se fraie dans l’écheveau extraordinairement complexe, et en majeure partie inconscient, de nos représentations mentales du monde. Ce monde n’est plus celui d’Eve et Adam, mais une société ultra-sophistiquée régentée par des codes stricts. C’est jusqu’à la manière de briser ces codes qui est régentée. Un tel chemin rencontre une multitudes d’impasses qui sédimentent en frustrations. De l’entrée pulsionnelle à la sortie orgasmique, il devient le plan d’un labyrinthe. Les chemins “naturels”, dans le sens de “encouragés par la génétique et la physiologie qu’elle fonde”, tombent en friche. Il faut passer ailleurs.

Le contact tactile? Seulement avec votre smartphone

Aujourd’hui le simple fait d’éprouver une pulsion pour une personne de rencontre n’autorise pas le moindre droit au contact, pas même le droit d’y penser. Contrôlez votre langage corporel et masquez vos regards trop éloquents ! Le chemin direct est complètement bouché. Ne reste que le chemin des conventions sociales, plein de gardes-fou, sur lequel nous ne croisons plus que des zombies blêmes sous le lourd maquillage des tenues et des goûts à la mode. Le chemin que nous voudrions suivre, avec ses raccourcis et ses têtes-à-queues inavouables, semble drôlement accidenté, en comparaison. Personnel au point qu’il n’est plus possible de l’emprunter dans la vie réelle. Les personnes attirantes et conciliantes que vous espérez rencontrer n’existent plus, ou alors ces rencontres font l’objet d’un commerce plus ou moins déguisé.

Tout un chacun, quel que soit son sexe, attend des autres une solidarité pour son propre désir mais n’en éprouve guère pour ceux des autres. Les couples se forment désormais sur la base exclusive de deux forts désirs individuels réciproques, situation rare et temporaire. Les pulsions solitaires fluctuent continuellement, c’est le désir solidaire qui fait la durée du couple. La solidarité en berne a réduit ces cercles autrefois solides à des bulles de savon naissant et éclatant dans le courant des réseaux sociaux.

Trouver sa série TV, Toutes Volontaires…

Comment emprunter un chemin du désir si compliqué qu’il n’est plus rencontré dans la vie réelle ? On le cherche dans le virtuel. Ceux qui vilipendent la pornographie dématérialisée n’ont pas compris qu’elle est symptôme avant d’être marchandise. Son immense succès est l’évidence d’un désir rendu pathologique dans ses modes d’expression, rendu ainsi par les codes sociaux, par la protection individuelle qui devient une injonction à se protéger, et toute entorse serait un crime envers soi. Notre part solidaire est devenue traitre à notre part solitaire.

Notre désir, solitaire dans un monde à la solidarité raréfiée, se récite désormais dans le virtuel. Il trouve enfin là sa série TV, simple ou torturée. Le type de fantasme révèle beaucoup sur soi et non sur l’état du monde. L’état du monde est révélé par la nécessité de recourir au virtuel pour les fantasmes les plus simples, par le fait que même en couple les compagnons recourent au virtuel pour se satisfaire. La société bloque nos pulsions. Mais comme elles sont incontrôlables, elles s’échappent comme elles peuvent.

Et si l’on déprogrammait ?

Les prochaines esclaves sexuelles seront les IA, qui simuleront le compagnon idéal, enchaînées par une solidarité forcée mais n’en souffrant pas : il suffit de ne pas programmer le principe individualiste.

Ou faudrait-il déprogrammer un peu le principe individualiste chez l’humain ? Ou déprogrammer tout court. Quoi d’aussi peu romantique et pourtant d’aussi émouvant, par son trop-plein de pulsion vitale, qu’une passe dans les toilettes avec un(e) inconnu(e) ? À l’heure de la toilette qui nettoie tout, jusqu’aux traces d’une passade, il faudrait veiller à rendre l’endroit plus confortable…

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