Que veut dire ‘décivilisation’ ?

Les commentaires du mot présidentiel

La ‘décivilisation’, diagnostic d’Emmanuel Macron sur les émeutes récentes, a été abondamment commentée. Le sens général de ‘civiliser’ est d’adoucir les moeurs, d’encourager l’auto-discipline qui permet le progrès du vivre ensemble. Martin Legros utilise le double regard —sans le connaître— pour séparer deux sens en apparence contradictoires de ‘civilisation’, qu’il définit comme ‘grec’ et ‘romain’. Être civilisé au sens grec est reconnaître la prééminence de la cité sur les citoyens. Être civilisé au sens romain c’est d’abord être concitoyen avant de faire partie de la cité.

On retrouve ici le regard descendant, du tout (la cité) sur ses parties (les citoyens), et l’ascendant, des parties vers le tout. Ce sont des outils d’analyse et aucun ne peut être choisi au détriment de l’autre, au risque de rater un aspect incontournable de la relation.

Par contre nous préférons généralement l’un des regards quand il correspond mieux à l’état du conflit présent à l’intérieur de nous. Si je suis collectiviste préférentiel, je me sens plus ‘cité’ que ‘citoyen’ et je privilégie le regard descendant. Si je suis individualiste préférentiel, c’est le contraire. Dans le jargon du conflit T<>D1(T<>D) est le principe au coeur de la ‘théorie du Tout’ expliquée dans Surimposium. Sa simplicité est extrême : Toute chose émane d’un conflit entre individuation et collectivisation. Entre “Je suis” et “appartenir à”. Entre le T de soliTaire et le D de soliDaire, je suis plutôt soliDaire (D) ou soliTaire (T).

Comment voulons-nous être policés ?

Le D accepte très bien la présence d’une police et supporte même ses excès. Il n’y voit aucun déni d’identité, puisque la Cité qui envoie ses policiers est une partie importante de lui-même. Le T à l’inverse se méfie de la police et en dénonce prestement les dérives. Son identité est fortement individualiste et voit comme une menace toute règle imposée.

Si ces deux regards sont équivalents en importance, comment définir alors le fait de ‘civiliser’ ou ‘déciviliser’ la relation entre cité et citoyens ? Le Président parle de ‘décivilisation’ quand la Cité perd de son autorité, qu’elle est contestée par les citoyens. Un manifestant voudrait utiliser le même terme parce qu’en tant que citoyen il affirme que ses intérêts ne sont plus représentés dans la Cité.

Bien que leurs façons de voir soient radicalement opposées, ils sont d’accord, finalement ! Ce qui nous facilite l’unification du sens du mot. La ‘décivilisation’ est une relation dégradée entre citoyens et Cité qui donne une impression de perte de pouvoir aux uns comme à l’autre. Tandis que la ‘civilisation’ est une relation renforcée qui augmente le pouvoir à la fois des citoyens et de la Cité.

La Cité, un pouvoir qui régule les conflits individuels

Mais comment est-il possible de ‘civiliser’ quand les intérêts du Tout et des parties divergent ? Le pouvoir donné à l’un ne manque-t-il pas immédiatement à l’autre ? Pas forcément. C’est tout l’intérêt de comprendre comment fonctionne exactement le conflit T<>D. Il peut être constructeur ou destructeur, tout dépend de l’organisation sur laquelle il débouche.

En premier lieu, comprenons que le D part toujours du T. Au départ ce sont des citoyens qui s’associent, qui construisent ensemble une cité. La Cité est la stabilité d’organisation qui les relie. Elle est indispensable, sinon chaque conflit inter-individuel détruirait immédiatement toute entente. Mais elle peut devenir étouffante si elle est trop conservatrice, au point de ne plus correspondre à la vie des citoyens, dont les modes changent perpétuellement.

La Cité est métastable

La Cité est ainsi un Tout métastable : il dure tant que les conditions lui sont favorables et peut s’effondrer quand le contexte a trop changé. La Cité est une continuelle alternance de constructions et déconstructions. Phases de civilisations et décivilisations. Nous en voyons toujours les effets à l’ère moderne. La Cité se décivilise, le Président autant que les manifestants ont raison. Ce qui ne désigne pas en soi les coupables. Seul le diagnostic est posé : la relation entre (certaines) parties et Tout est détériorée.

L’anarchie mène à la tyrannie

Ce qui est menacé est la forme actuelle de la Cité, en tant que régime collectif. Devenue hiérarchie de lois très approfondie, elle ne s’effondre jamais complètement. Elle perd des niveaux de complexité, tombe dans une anarchie temporaire (l’état privilégiant les T) et reforme un D aux règles modifiées. La métastabilité politique est une suite d’états stables séparés par du chaos. Ils ne se succèdent pas au hasard. Le nouvel état deviendra probablement une Cité plus tyrannique qu’auparavant, car l’anarchie effraie à la fois l’élite et ceux qui ont besoin de la solidarité pour survivre, ce qui regroupe une majorité de citoyens.

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Comment voulons-nous être policés ? Philomag 2023

1 réflexion au sujet de « Que veut dire ‘décivilisation’ ? »

  1. Dans ‘La vie simple’, Carlo Ossola voit la civilisation non pas dans les grandes choses mais dans les petites : franchise, constance, patience, douceur, loyauté, tact, dévouement, ironie, générosité. Il sépare ces vertus entre ‘celles pour soi’ et ‘celles pour les autres’. Nous retrouvons ici le principe T<>D, et la relation de la civilisation avec la complexité de la société qui nous entoure : Une société aux aspects très variés nécessite une grande sensibilité dans la gestion du conflit entre soi et non-soi, tandis qu’un milieu simple ne réclame pas tant de sophistication. Le ‘civilisé’ d’une société vaste et complexe semble ainsi fort maniéré à celui d’une société tribale.

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