Principe de vie sacrée, l’erreur cachée

Abstract: « Toute vie humaine est sacrée. Il faut faire le maximum pour la conserver ». Ce principe est admirable mais s’aveugle au fait que “toute” vie implique qu’il en existe d’autres. L’effort fait pour en conserver une, immédiatement menacée, peut spolier ou raccourcir un grand nombre des autres d’une manière moins visible et brutale. Le collectif est lésé. Le principe de vie sacrée est bien égotiste et non solidaire. C’est le “Je” qui porte ce principe et non le “Nous”, parce que tout “Je” souhaite que sa propre existence soit jugée ainsi.

Déstabilisation virale

Le principe de vie sacrée s’énonce ainsi : Il faut sauver toute existence, « quoi qu’il en coûte ». Cette formule démagogique a conquis sa célébrité lors de la 1ère épidémie de Covid en 2020. Le principe de vie sacrée a motivé une politique déstabilisante pour nos équilibres sociaux, et ce n’est pas terminé. Car un tel principe est le plus radical des wokismes. Le wokisme, dans sa forme insupportable, est une réclamation qui ne cédera pas tant qu’elle ne sera pas intégralement satisfaite, sans le moindre compromis. C’est le wokisme infantile du minuscule maître du monde qui braille pour avoir le sein sans délai. Le principe de vie sacrée est ainsi. Aucune vie n’est sacrifiable parce que toutes étant d’importance égale cela signifie que l’on pourrait décider de sacrifier la mienne. Et cela, mon ego ne peut l’accepter.

Sommes-nous réduits à un ego ? Heureusement non, sinon l’espèce humaine serait faite de tigres solitaires errant dans la forêt primordiale et ne rechignant pas à dévorer leur propre progéniture à défaut d’autre chose. Nous sommes une espèce coopérative, c’est-à-dire que l’esprit humain possède un ‘Nous’ en plus du ‘Je’. Deux pôles en conflit, car leurs intérêts divergent. Le conflit soliTaire vs soliDaire, ou conflit TD. Dois-je garder la nourriture pour moi ou la partager avec mes congénères, qui peuvent m’aider à en trouver davantage ? Le conflit TD est un moteur. Il nous oblige à faire de l’esprit, à être inventifs pour surmonter ses contradictions.

Acrobate planétaire

Je suis convaincu que c’est l’équilibre très bien dosé du conflit TD dans l’espèce humaine qui a fait son succès. Les espèces plus coopératives se sont répandues, les plus individualistes se sont maintenues, mais c’est la mieux centrée sur le conflit TD qui a pris le contrôle de l’écosystème, à force de faire de l’esprit.

Et notre survie dépend de notre capacité à rester centrés ainsi, ni trop soliTaires ni excessivement soliDaires. Devenus capables de remodeler matière et Nature, nous sommes encore sous la menace d’un soliTaire radical qui pourrait déclencher un holocauste nucléaire,  ou bien de soliDaires extrêmes qui concevraient des enfers orwelliens. Notre avenir, quelles que soient ses évolutions technologiques, repose sur un talent d’acrobate en tant qu’espèce globale. Exacerber les individualités sans menacer leur unité. Tout absolutisme détruit l’équilibre, qu’il soit dédié à la vie individuelle ou à l’intérêt général.

Une espèce malade

C’est bien ce qui est arrivé lors de cette épidémie. Le discours sur la vie sacrée se fait passer pour soliDaire, mais c’est un faux collectivisme, qui rompt l’équilibre. Tout mettre en oeuvre pour sauver quelques vies a ébranlé une multitude des autres. Le collectif s’en est trouvé affaibli. La maladie n’a plus touché seulement des individus mais la Société. Nous sommes devenus une Espèce malade.

Comment peut-on arriver à croire nécessaire de préserver les vies les plus âgées, les plus fragiles et proches de leur terminaison, au prix de l’avenir des plus jeunes et prometteuses ? Seul le principe de vie sacrée fait penser une chose pareille. Il faut s’être enfermé dans l’égotisme, ou aveuglé au coût réel du sauvetage de chacune de ces vies. Autrement dit il faut avoir trucidé sa pensée soliDaire authentique. C’est bien le cas aujourd’hui. Le wokisme contemporain est une solidarité égoïste, un monstrueux oxymore qui consiste à penser d’une manière toute personnelle la manière dont on doit se soucier des autres.

Sacrifice ou renoncement héroïque?

La pensée soliDaire authentique existe encore, heureusement. Elle s’est manifestée chez beaucoup de personnes âgées pendant l’épidémie. Au lieu de réclamer leur protection comme un droit fondamental, elles refusaient l’idée de mesures générales contraignantes à leur seul profit. Le risque vital les concernaient presqu’exclusivement, et elles ne souhaitaient pas bouleverser le destin de la planète pour quelques mois de vie supplémentaire. On les a ignorées.

Parce que, bien sûr, accéder à leur souhait impliquerait qu’il existe des vies sacrifiables, et alors on peut tout imaginer. Notre ego imagine n’importe quoi, entraîne notre pensée sur la pente glissante du sacrifice pour un motif futile. Tandis que notre soliDarité, si nous l’écoutions vraiment, sait qu’il existe des renoncements héroïques, impératifs pour le bien commun.

La solidarité sur prélèvement automatique

Il existe une manière de connaître notre réglage TD, ce réglage intérieur entre la force du soliTaire et du soliDaire. Posez-vous sérieusement cette question : Si, âgé de 40 ans et en parfaite santé, l’on vous demandait de choisir entre votre décès et celui de votre enfant de 10 ans, auquel donneriez-vous votre assentiment ? J’ai appris à me méfier de ceux qui répondent instantanément. Ce sont les soliTaires et soliDaires radicaux, tandis que le bon réglage TD est chez celui qui prend la peine de réfléchir. Qui est le plus important pour le collectif ? L’enfant, a priori, parce qu’il est l’avenir. Mais l’adulte, quelle importance a-t-il au sein du collectif pour préparer ce futur ? Qu’en est-il si d’autres enfants dépendent de lui ?

L’idéologie est pratique pour ceux qui ont la flemme de réfléchir. Elle apporte une réponse simple et directe à ces problèmes délicats. Le principe de vie sacrée en fait partie. Il nous rend aveugles à la vraie solidarité et est en train de déstabiliser nos sociétés démocratiques. Malgré ses projections sur l’avenir, notre pensée est enterrée dans un présent social uniforme, celui des réseaux. Un cadre qui semble perpétuel. Alors qu’il est extrêmement fragile. Le collectivisme est un édifice volatile, qu’il faut entretenir quotidiennement par des gestes solidaires, par un travail qui ne bénéficie pas seulement à soi.

Ne mettons pas la solidarité sur prélèvement automatique, comme la mensualité d’un impôt, sinon l’Ego s’estime déchargé de ses obligations et libre d’exiger toutes satisfactions. En particulier ne pas disparaître, quel qu’en soit le prix.

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