Quand la science prend ses aises avec le symbolisme racial

Abstract: Certains auteurs utilisent la biologie pour interpréter des questions de psychologie et de sociologie. C’est la tradition réductionniste —nos comportements émaneraient de notre constitution physique. Le symbolisme culturel est cherché dans la biologie, et s’il n’est pas trouvé là, il serait illusoire. Je prends volontairement un exemple polémique, le concept de race, pour montrer que : 1) Les critères mentaux utilisés initialement ne faisaient aucune référence aux gènes, inconnus à l’époque. 2) Néanmoins certains auteurs réduisent aujourd’hui le concept de race à la génétique, puis le dénigrent par son inexistence dans les agencements de gènes. 3) Mais le symbolisme génétique est lui-même dénigré par son absence dans les modèles moléculaires. 4) Le réductionnisme retire ainsi tout symbolisme à la réalité et rend l’ensemble de nos concepts illusoires. Cette science à oeillères fait un autodafé de l’esprit. Soignons-le en rétablissant une indépendance entre les niveaux de réalité.

La race en tant que concept

Le concept de race est un héritage difficile. Il fonde encore aujourd’hui bon nombre de violences institutionnalisées, après les plus emblématiques du siècle dernier : génocide juif et discrimination des noirs nord-américains. Le concept, dans ce cas, ne mérite-t-il pas lui-même la peine capitale ?

Un effort normatif qui tend vers l’annihilation

Il a été balayé de notre biologie mais se maintient dans les esprits, motivant sa persistance en sciences humaines. Il existe une sociologie et une philosophie de la race. Contrairement à la plupart des sujets, celui-ci est très normatif. Difficile d’analyser les comportements raciaux sans dicter les bons et les mauvais. La neutralité scientifique s’évanouit. L’emphase est mise sur l’explication plutôt que le moralisme péremptoire. Néanmoins la norme reste catégorique et les discours sur la race ont l’allure de prêches plutôt que de débats. Est-ce alors toujours de l’information ou du prosélytisme scientifique ?

Le jugement moral, même animé des meilleures intentions, crée des résistances. Le quidam est supposé utiliser le concept ‘race’ avec de mauvaises intentions. Paradoxalement les chercheurs, qui encouragent à se méfier des généralisations, utilisent les mêmes a priori sur leur public. Ils utilisent la biologie pour propager un nouveau credo : la race est un concept creux, dépassé. Ils se soumettent ainsi à un paradigme dangereux : celui de la réduction du mental au biologique.

Employer la méthode que l’on critique?

Que fait en vérité un auteur qui dénigre le concept de race en le déclarant inexistant dans la génétique ? Il utilise exactement le même réductionnisme qui a ancré la version pervertie du racisme dans nos mentalités. En effet l’idée d’une prédétermination de l’intelligence et du caractère dans les gènes est bien la fondation du racisme dénaturé. Celui-ci est, rappelons-le, une invention des intellectuels des siècles passés, et non un instinct populaire. Le discours scientifique contemporain continue à promouvoir cette idée : On ne peut pas échapper à ses gènes, peu importe les efforts d’éducation entrepris. Des catégories d’humanités sont fixées. Échapper au racisme pervers, alors, c’est commencer par refuser le réductionnisme du gène, accorder leur indépendance aux niveaux psychologiques.

Mais cette indépendance oblige à admettre que le concept de race ait une valeur réelle, et non illusoire, dans le psychisme. Qu’il existe indéniablement, sans aucun support génétique. Qu’il influence notre comportement, pour des raisons bonnes ou mauvaises. Nous entrons là dans le champ complexe de l’interaction d’un concept avec les autres, en particulier ceux de l’éthique et du collectivisme. La race redevient un sujet approprié à la psychologie et la sociologie. Il s’est évadé de la génétique mais a droit de cité dans les sciences sociales. Son statut a changé : de critère “inamovible” parce que génétique, il devient modulable : un individu peut changer d’étiquette raciale. C’est l’idée nord-américaine du personnage « white under the skin » où les caractéristiques mentales ne correspondent plus au stéréotype véhiculé par l’apparence raciale.

Concepts viciés par l’égalitarisme

Un concept est un objet mental composite. Plus ou moins consensuel en soi. Améliorer son universalité oblige à regarder ses composants de plus près. Se mettre d’accord à leur sujet. Éliminer les erronés. Relooker les tendancieux. Sans se débarrasser du concept lui-même s’il est d’utilité quotidienne. Dans une ville où les critères raciaux permettent d’identifier 90% des gens dangereux, ne pas les utiliser serait un défaut de prudence.

Un concept est tronqué par l’égalitarisme. Toujours virtuel, il n’est jamais équivalent à la chose représentée. Il n’en est pas l’égalité. Même un objet matériel tel qu’une “pomme” peut être une fausse pomme, n’en avoir que l’apparence. Une partie du concept seulement est juste. Ce qui ne dénigre pas nos concepts en tant que représentations fusionnelles, symboliques. Celles-ci sont nécessaires, impérativement, pour appréhender le monde. Impossible de le reconstruire à chaque instant à partir de nos perceptions.

De la valeur du symbole

L’égalitarisme est un piège pour nos concepts. Autant pour ses partisans que ses adversaires. Nous égalisons le concept à la chose représentée, autant pour le conserver envers et contre tout, que pour le dénigrer alors même qu’il a une utilité indéniable. Le concept de race est attaqué par une éthique normative, qui veut s’en débarrasser. Mais ses contempteurs se servent de l’égalitarisme au même titre que ceux qui font un mésusage du concept. Ils assimilent le concept à ses mauvais composants pour les uns, aux bons pour les autres.

Une représentation fusionnelle a une valeur symbolique essentielle pour simplifier le monde et orienter notre volonté. Le rôle de la conscience est d’affiner ses symboles en travaillant leur composition, pas de les éliminer. Détruire les symboles fait perdre de l’emprise sur la complexité du réel. La plupart des symboles problématiques ne sont pas viciés en eux-mêmes. Ils sont insuffisamment complexifiés. Intégrés par une gamme d’évènements trop restreinte. Nous n’avons jamais assez vécu. Nous avons surtout mimé. La première entrave à réviser un symbole est de manquer de l’assurance nécessaire pour le quitter. Ceux qui exhortent à le faire projettent leur assurance et leur vécu sur les autres. Sensibilité déplacée. Fausse idée de l’autre.

Une invasion avec des fleurs

Est-ce surprenant, dans ces conditions, que l’effort normatif sur les symboles rencontre autant de difficulté ? Les moralisateurs généralisent, remplacent le vécu de l’autre par le leur, alors qu’il faut faire l’inverse. S’introduire subrepticement dans le monde de l’autre est s’identifier véritablement à lui, quelque soit le dégoût que notre propre esprit peut éprouver. Le collectivisme est toujours un retrait de soi, pas une invasion. Peu importe les bouquets de fleurs que l’on tend devant soi. Il faut révéler le manque d’assurance qui se cache derrière les idées radicales.

Le symbolisme perverti par une certaine science

Soyons clairs: mon objectif n’est pas de soutenir le racisme mais de rétablir l’utilité du concept de race, mis à mal par les études génétiques. L’interprétation biologique est trop extensive. Les symboles génétiques n’ont pas vocation à remplacer les psychologiques, au risque d’une perte de contrôle sur le monde, et de mésaventures pénibles. Le concept de race indique en premier lieu : autre race, autre manière de penser, difficulté potentielle à se comprendre, risque de conflit supérieur, méfiance. Un considérable étagement d’organisations séparent les gènes des concepts. La virtualité des seconds ne les rend pas moins réels que la matérialité des premiers.

Les gènes sont-ils de meilleurs symboles?

Ironiquement la valeur symbolique des gènes est remise en question elle aussi par la biologie contemporaine. Ils sont beaucoup moins individualisés qu’on le pensait. Comme pour les autres niveaux de réalité, ce sont des attracteurs complexes, plus faciles à modéliser mais dépendants de la modulation épigénétique et de leur constitution macro-moléculaire. Intrication avec les niveaux sus et sous-jacents dans la dimension complexe.

Le propre d’un symbole est ainsi son indépendance relative. À la fois figé et évolutif, stable dans un certain contexte, transformé quand les limites sont franchies. Métastable. Le symbole demeure mais sa constitution a changé.

Une prédisposition n’est pas une disposition

Ce n’est pas au symbole qu’un chercheur doit s’attaquer mais à sa constitution. Lorsqu’il le dépèce, il peut séparer les meilleurs éléments des médiocres. Améliorer la fiabilité du symbole à notre profit. Appliquée à la race, la méthode ne fait pas disparaître le racisme, elle le rend efficace. Elle ne trouve pas d’équivalent du concept psychique dans la génétique mais indique quels sont les associations de gènes éventuellement concordantes avec des critères raciaux. La science nous dit que les gènes préprogramment largement nos comportements. Et il ne faudrait pas s’en servir ? L’important est de comprendre les limites de cette connaissance. Une prédisposition n’est pas une disposition. Nous échappons tous à nos gènes. Et il est difficile de faire un diagnostic précis de chaque échappée individuelle.

Faire un tel diagnostic demande de gros moyens d’expertise. Moyens réservés au collectif et à ses représentants, les juges, les psychiatres, les législateurs. Pour ces gens-là, la race est un critère sans intérêt, ou ne devrait pas l’être. Parce qu’ils ont les moyens de le décomposer en ses constituants. De regarder chaque disposition de l’individu, ne pas se contenter de la synthèse grossière appelée ‘race’.

L’individu a besoin de ses ostracismes

Pour le quidam c’est l’inverse. Même doué d’une perception très fine, il ne peut connaître le fond de chaque personne de rencontre. Il n’en a ni le temps ni les moyens. Le critère de race peut lui sauver la mise. Tous, nous utilisons différents ostracismes pour garder la main sur notre environnement. Nous sélectionnons nos correspondants, nos relations jugées fiables, sur des critères pas toujours meilleurs que la race : diplômes, présentation vestimentaire, regard “franc” ou non, etc.

Chaque symbolisme peut être amélioré, c’est le travail d’une vie. Mais le travail du scientifique n’est pas de remplacer un symbolisme par un autre, dépourvu de signification à cet endroit. Ce n’est pas en remplaçant des types de personnalité par des modèles neuraux que nous comprendrons mieux les êtres humains. Ce n’est pas en dénonçant des concepts par leur absence de contrepartie génétique que nous ferons disparaître le mésusage du racisme.

*

Synthèse sur la morale

Laisser un commentaire