Surimposium en tant que système de philosophie

iKant

Les systèmes philosophiques traduisent l’organisation de la pensée de leurs auteurs. Certains sont très codifiés, comme chez Socrate, Descartes, Spinoza, Kant. Ils créent en quelque sorte leur mathématique de la pensée. Ces équations, une fois identifiées, permettent de passer tout nouveau problème à leur moulinette spécifique. Les systèmes attirent ainsi beaucoup les jeunes philosophes. Ils élisent un auteur préféré, transcrivent l’actualité à travers le filtre choisi.

Certains systèmes ont une codification tellement précise qu’ils pourraient déjà faire l’objet d’une simulation numérique. Pourraient apparaître prochainement iKant, iSocrate etc, intelligences artificielles s’enrichissant d’une multitude de données pour étendre le système originel à tous les domaines.

Comment un système philosophique se forme-t-il?

Pourquoi tous les philosophes ne peuvent-ils prétendre en avoir créé un ? Un système commence par une collection d’éléments. En philosophie les éléments sont des pensées, de petites pépites spirituelles collectées au cours des lectures. Leur mélange crée des synthèses originales chez l’aspirant philosophe. Le discours de salon peut apporter de nouveaux éléments. Mais chez le créateur de système il sert plutôt à organiser sa pensée, la rendre explicite, tester sa cohérence avec des contradicteurs.

Ajouter des conclusions ne suffit pas à transformer une philosophie personnelle en système. Il faut une nouvelle manière d’organiser les données. Est-ce possible quand on connaît déjà une foule de modes existants ? Faut-il attendre la nouveauté chez les plus érudits ? Tout montre le contraire. L’innovation apparaît dans l’esprit jeune, vierge. La carrière d’un penseur suit toujours la même séquence :

1) Accumulation rapide de données très diverses au cours de l’éducation. Apprentissage des systèmes existants.
2) Aucun système n’est encore profondément implanté. Aucun n’englobe la totalité. L’apprenti dispose encore d’espace pour imaginer le sien. Si son intelligence est vive, il crée sa propre structure d’organisation.
3) Les années font mûrir son système, l’étendent progressivement à tous les secteurs. Cet universalisme personnel fait aussi barrage à de nouvelles transformations. Le mental prend sa forme définitive.
4) Le vieillissement n’est pas tendre avec les réseaux neuraux. Ils révisent en permanence leurs schémas pour se maintenir. L’esprit n’est plus dans la transformation mais dans l’entretien de son identité. Il se replie sur son noyau principal, le coeur du système choisi, inlassablement répété. Radotage…

Folie ou génie

Booster essentiel pour la création d’un système: avoir repéré des contradictions. Les livres ne sont pas les seuls à en héberger. La vie n’en manque pas. Les grands inventeurs ont eu une vie houleuse, se révèlent après un bouleversement personnel. La vision apprise ne convient pas. Il faut inventer une nouvelle structure au monde pour retrouver sa cohérence. Échec ou succès, folie ou génie, les deux alternatives.

Si nous ne sommes pas tous fous ou géniaux, c’est que la plupart de nos contradictions internes sont peu signifiantes à nos propres yeux. Elles s’enfouissent dans la profondeur du mental, y sédimentent sous forme de névroses, ces petites dysfonctions en désaccord avec la réalité des choses, qui nous empêchent de profiter pleinement du quotidien. Ce qui sauve l’esprit jeune de la camisole névrotique est l’étonnement, l’insatisfaction, la rébellion contre une interprétation inacceptable.

Théistes et naturalistes

Les systèmes philosophiques, réputés pour leur diversité, se rangent néanmoins dans 2 grandes catégories : les théistes et les naturalistes. Pour les premiers, Dieu est à l’origine de toute chose. Intention ultime, la plus sophistiquée qu’il soit possible d’exercer. Nos esprits en sont une itération, un reflet. Ils créent leur réalité. Il n’y a pas d’autre monde matériel que celui que nous choisissons de décrire. Nos esprits en restent propriétaires.

Pour les seconds, la Nature est à l’origine de toute chose. Mais cela n’a rien d’une intention. C’est un cadre qui nous a précédé. Il est traversé par des forces propriétaires. Il nous a causés, certes, et d’une façon mieux retracée que pour Dieu, mais n’avait aucune intention de le faire. Le cadre se contente d’exister, rien de plus. Il se réduit à une information neutre.

Sans surprise, les deux catégories de philosophies divergent assez radicalement sur la place de l’humain, sa société et surtout sa morale. La théiste voit la morale dans des idéaux imprescriptibles, des lois divines qui définissent notre humanité. La naturaliste voit la morale comme génétique, utilitariste, avatar de la perpétuation de l’espèce.

L’académisme s’isole de la multitude au lieu de l’explorer

Peut-on dire que de nouveaux systèmes philosophiques émergent encore aujourd’hui ? Le genre humain ne manque pas d’intelligences aiguisées. Il en fabrique même statistiquement bien davantage, étant donné les chiffres stupéfiants de notre multiplication. La population mondiale a quadruplé en un siècle. Néanmoins ces nouveaux esprits naissent dans un monde d’information déjà extrêmement structuré. Tout a été pensé et repensé. Difficile, déjà, de sauvegarder sa virginité. Encore plus dur de créer une nouvelle structure. Presque toujours elle existe déjà mais le penseur ne la connaît pas.

L’inventeur est alors coincé entre la nécessité d’oublier les systèmes existants et celle de les connaître pour savoir s’il a réellement innové. La solution la plus simple est de s’abstraire du savoir existant et prétendre que l’on a tout imaginé. C’est vrai la plupart du temps. Beaucoup d’inventeurs auto-proclamés n’ont rien lu, rien plagié. Ils ont seulement recréé. Ce qui est déjà une performance appréciable.

Mais que refusent d’apprécier ceux qui se sont déjà appropriés le savoir par leurs lectures des classiques ou des chercheurs plus officiels. L’académisme divise le monde entre profanes et diplômés. Ce faisant, il se coupe d’un vivier d’idées bien plus vaste que le milieu officiel. Même si les vraies espèces nouvelles sont très rares, on y trouve peut-être davantage de systèmes philosophiques innovants, par le simple pouvoir du nombre. Manque un outil de tri efficace. Et l’envie de l’utiliser. La division du monde protège aussi les pouvoirs.

Que reste-t-il à créer?

Les stars de la philosophie contemporaine sont de nouveaux analystes exceptionnels du monde plutôt que des créateurs de nouveaux systèmes. Ils émergent par leur regard pertinent sur l’actualité plutôt que par des ouvrages fondamentaux. J’attends vos avis, chers lecteurs, sur des livres récents que vous jugeriez fondamentaux. Je n’ai lu personnellement que d’excellentes synthèses.

Quel système reste-t-il à créer ? Est-il possible seulement d’y penser, entouré des étagères surchargées de sa bibliothèque ou des gigaoctets d’analyses numérisées ? À propos de n’importe quel sujet, des idées vous viennent spontanément. Inutile d’ouvrir l’un de ces livres. Ils ont laissé leur empreinte en vous et vous ont enrichi d’une multitude de manières d’interpréter les choses. Mais alors cela ne vous rend-il pas plus aveugle à ce qui n’est pas interprété ?

La science dévore l’inconnu

En science l’inconnu n’effraie guère, finalement. La science ressemble à une machine à tisser qui, arrivant sur le chaos, ou même le vide absolu, entrelace les concepts existants pour créer une trame d’information. L’inconnu recule. En restera-t-il ? On commence à craindre pour lui.

Certes la science génère ses propres révolutions. Nouveaux paradigmes. Après le quantique, d’autres sont à venir. Mais de tels éblouissements ne doivent pas cacher que la science ne subit pas de bouleversement philosophique. Elle est une branche de la connaissance, un système philosophique unique, qui n’en enfante pas d’autres. Au contraire elle fusionne la catégorie naturaliste avec une efficacité si parfaite que la plupart des esprits qui s’en réclament disent la même chose.

La philosophie cherche à protéger l’inconnu

Sans surprise, les penseurs cherchant du neuf en philosophie se sont évadés dans l’autre catégorie. L’art de penser s’est recentré sur les phénomènes, l’épistémologie, l’intentionnalité, la religion aussi, qui n’est plus l’ennemie mortelle comme au XIXè siècle. La science, omniprésente, est obligatoirement incluse. Mais il s’agit d’une juxtaposition de systèmes, d’une polyvalence du philosophe contemporain. L’intégration n’a guère progressé.

Le dualisme imprime toujours profondément la philosophie. Les deux catégories restent tranchées. Seul un esprit solide peut s’approprier à la fois les regards théiste et naturaliste. Car il faut héberger aussi leurs contradictions. Qui restent irrésolues. Un philosophe éclectique peut soutenir tout et son contraire, adossé à sa grande variété de références, à la différence du scientifique et du religieux cloîtrés dans les leurs.

Religion, science, ou Surimposium?

Omnipotence assez convaincante. Pourquoi le monde d’aujourd’hui n’est-il pas plus philosophe ? Parce que la réalité du philosophe n’est pas facile à s’approprier. La ventiler partout est menacer de perdre son identité. Celle du scientifique est bien plus ordonnée, stable, reproductible. Et pour ceux que les oracles impavides de la science rebutent, le choix se porte sur la magie ou la religion. La diversité des congrégations donne l’impression de pouvoir tout connaître… à sa façon.

Finalement le monde devient plus scientifique et plus religieux, pas plus philosophique. Deux camps d’irréductibles. Austérités naturaliste et théiste. Les philosophes dits modernes vont d’un bord à l’autre sur les larges ponts du pragmatisme, ne jetant plus que rarement un coup d’oeil sur le gouffre matière/esprit traversé. Gens du voyage, dans un monde profondément dualiste.

Avez-vous deviné, maintenant, le système qui reste à créer ? Si c’est le cas, vous êtes prêt à lire Surimposium.

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