Abstract: Beaucoup de nos motivations sont considérées à tort comme naturelles. Je prends 3 exemples : rester en bonne santé, protéger la nature, faire respecter l’égalité des droits. Derrière se cachent des idéaux artificiels : la Vie Éternelle, le Muséum d’Histoire Naturelle, l’Égalité Démocratique. Confondus avec des principes réellement constitutifs de la nature humaine, ces idéaux écrasent de leur poids beaucoup d’aspects de nos vies. Ils aplatissent notre hiérarchie de motivations et sont plutôt des obstacles à la réalisation personnelle.
Quand l’idéal se prend pour la nature des choses
Connaître la nature des choses n’est pas accéder à ce qu’elles sont vraiment. L’être d’une chose, appelé ontologie en philosophie, n’est éprouvé que par cette chose. Tout observateur, si savant soit-il, en construit seulement une représentation. La connaissance est une chaîne de ces représentations, dont la cohérence fait tenir ensemble les éléments d’un ‘monde connu’ toujours empreint d’une précarité intrinsèque : tout n’est pas connu ; un changement de paradigme fondamental peut à tout moment bouleverser l’ensemble de la connaissance.
Un seul être nous est parfaitement connu, parce qu’exactement superposable à l’expérience de la chose : notre conscience personnelle. Ce que nous éprouvons est une confluence, un réarrangement perpétuel de perceptions et de concepts, dont les détails deviennent rapidement invisibles si nous y descendons notre attention. L’être individuel est une fusion de motivations pulsatiles et fantasques, goûts et préférences mal coordonnés, sinon le juste comportement à entreprendre nous apparaîtrait toujours évident.
Or c’est la possibilité de choix qui nous rend performants. L’évolution a conçu notre être versatile. Devant deux situations strictement identiques nous ne choisirons pas toujours la même action. Nous comparons les résultats. Une réussite nous fait avancer d’autant plus sûrement qu’elle nous a fait tester des erreurs sur le chemin.
De la morgue chez l’humain ?
Le chemin ? Que relie ce chemin mental en fait ? Vers quoi tendent nos motivations ? La conscience est un palais où siègent les buts et où courent en tous sens les moyens. L’aristocratie des buts, ce sont les Idéaux. Mais il existe aussi une petite bourgeoisie à satisfaire : les Instincts. Les Instincts se prennent volontiers pour des Idéaux tandis que les Idéaux méprisent ces tentatives de se faire passer pour plus altier qu’on ne l’est. Ce faisant, ils renient leurs origines, puisqu’ils ne sont rien d’autre que des Instincts sublimés.
Avec cette allégorie du Palais de Conscience je ne cherche pas à faire de l’esprit, plutôt à en faire une peinture plus réaliste qu’il n’y paraît. Le mental est une hiérarchie de concepts bruts à la naissance, patiemment tissés dans une complexité dont l’élévation n’est jamais barrée. D’abord boostée par les mimétismes éducatifs, l’élévation continue à la faveur de lectures, spectacles et rencontres avec plus complexe que soi. L’instinctive valorisation de soi est transformée par une société sophistiquée. Elle prend la forme d’idéaux magnifiques, auto-appréciation source d’une certaine morgue humaine.
Propriétaire ou esclave des idéaux
Comment cette morgue de l’espèce la plus évoluée sur la planète fait-elle considérer les instincts dont elle est issue ? Tout dépend de la manière dont chacun s’est construit. Si j’ai découvert en grande partie seul les idéaux présents dans ma conscience, ils sont véritablement identitaires. Je comprends leur justification, c’est-à-dire qu’ils sont bien intégrés à ma hiérarchie conceptuelle, depuis mes instincts primaires. Les Buts ne méprisent pas les Instincts ; ils reconnaissent leur filiation. Je suis en accord avec mon ontologie humaine.
Si les idéaux m’ont été inculqués, présentés comme incontournables, tombés du ciel ou d’un quelconque autre Monde Platonique des Idéaux Universels, ils sont des tyrans dans ma conscience. Impossible de les remettre en question. Ils sont source de conflit dans mon identité, car j’éprouve aussi mes instincts, et je vois bien qu’ils ne sont pas d’accord avec les idéaux. Dans mon Palais de Conscience, les Idéaux méprisent les bas Instincts et ceux-ci se rebellent. Je ne suis pas en paix avec mon ontologie.
Des idéaux en accord avec l’instinct
Il est donc essentiel de différencier, en notre fort intérieur, nos véritables intentions naturelles et nos intentions idéalisées, tombant du ciel ou plutôt d’une pensée sectarisée, la secte ayant toujours par définition “les meilleures intentions du monde”. Je suis obligé de ranger ici sous l’appellation ‘secte’ tous les groupes d’influence, aussi bien les sciences que les religions, l’ésotérisme ou les écoles philosophiques. Tous ont leur manière de connaître. Différencions-les par leur efficacité dans la connaissance du monde, et de ce point de vue je vous recommande la science et la philosophie pour construire la majorité de vos idéaux personnels.
Ce sont des modes de connaissance très vastes et difficiles à s’approprier. Si bien qu’il existe en leur sein beaucoup de sectes qui simplifient ou qui tronquent les idéaux scientifiques et philosophiques. Ultimement il est indispensable de vérifier que ces idéaux sont toujours en accord avec nos instincts, notre ontologie naturelle. Il existe de multiples biais perturbant le lien entre une chose et sa représentation. Cependant un biais est une explication et non un remplacement de la chose par sa représentation. Nos idéaux ne sont pas censés effacer ce que nous éprouvons. En s’y efforçant, le risque est de construire des névroses terriblement inquisitrices, et se compartimenter dans un monde acceptable au sein de l’inacceptable.
Deux pôles de jugement: l’instinct et l’idéal
Je parlerai dans la suite de l’article de motivations ontologiques ou ascendantes pour désigner les naturelles, authentiquement fondées sur notre organisation biologique, et de motivations téléologiques ou descendantes pour désigner nos idéaux, directoire qui doit vérifier qu’il prend toujours sincèrement nos aspirations naturelles en compte dans les compromis nécessaires qu’il faut passer avec le monde, et en particulier la société de nos congénères.
Voyons à présent 3 exemples pratiques, très présents dans la vie quotidienne : rester en bonne santé, protéger la Nature, faire respecter l’égalité des droits. Soit 3 soucis : médical, écologique, démocratique.
La Bonne Santé
Premier exemple : être attentif à chacun des risques pour sa santé. Cette attention est “naturelle” pour les dangers immédiats et inéluctables. Le juge est l’instinct. Cependant lorsqu’il s’agit de risques potentiels, statistiques, le jugement devient celui d’un idéal. Lequel ? Souvent celui de vie éternelle en parfaite santé. Faux par nature, il peut rendre le quotidien inquisiteur et contraignant, diminuant la qualité de vie plus qu’il ne l’améliore.
La différence entre le danger avéré, ascendant, et le risque supposé, descendant, rend compte de comportements apparemment incohérents. Un tabagique peut fumer 3 paquets/j et être fort prudent au bord d’un précipice. Inattentif à un risque mortel et extrêmement attentif à un autre, où est sa raison ? En fait il se moque de la vie éternelle, sait qu’il mourra, mais de préférence pas aujourd’hui en tombant dans un précipice. Sa cohérence apparaît sous le double regard : les dangers ne viennent pas de la même direction, l’un est dans la nature des choses, l’autre dans le regard idéaliste des autres.
Je fume donc je suis !
Le danger tabagique appartient en effet au registre des idéaux. Il a été construit par la science, par des moyens statistiques. Fumer augmente les chances d’attraper pas moins de 11 cancers et de multiples rétrécissements vasculaires et pulmonaires. Cependant aucune de ces complications n’est inéluctable. Si elles l’étaient on pourrait vraiment parler de suicide lent. Un suicide n’est pas très ‘naturel’. Mais les mauvaises habitudes ne tuent pas systématiquement. Elles excitent même la part de nous-mêmes qui exige du monde qu’il se plie à notre volonté, sans renoncer au moindre plaisir. Le risque éveille en nous le T du principe TD, l’individuation qui veut exacerber sa présence, prendre de l’importance dans le tout. Fumer est lancer un défi permanent au monde : j’existe, même alors que mon existence est menacée.
Sous le regard ascendant toute habitude est naturelle, a une bonne raison de s’être constituée. C’est le regard descendant, après évaluation, qui trie les bonnes et mauvaises manies. Il évalue d’après un critère idéalisant, qui est de prolonger la vie au maximum. L’idéal est en fait celui de la Vie Éternelle, ce qu’on en fait étant un autre sujet. Pourquoi faudrait-il accepter de mourir à 100 ans, ou 120 ans, ou plus, si l’on est en parfaite santé à cet âge ? La limite peut être repoussée artificiellement voire disparaître. Mais ce n’est pas pour cette raison que l’idéal de bonne santé n’a rien de naturel. La Nature n’a aucune notion de “santé” pour ses créations. Elle crée simplement, fait muter, sélectionne avec des contextes. Les espèces réussies ne sont pas en bonne santé, seulement plus résilientes dans l’environnement actuel.
Quand l’idéal de Vie Éternelle pourrit la vie quotidienne
La santé naturelle est de suivre son instinct et se protéger des dangers immédiats. Ce n’est pas toujours efficace et des modèles de santé ont amélioré notre sort. La caution scientifique est importante, cependant la science médicale fournit davantage de statistiques que d’explications. Très peu de ses modèles sont véritablement ontologiques. La majorité des médicaments sont utilisés pour leurs effets constatés et non parce que leur action physiologique est comprise depuis la racine génétique. Aucun traitement n’est véritablement personnalisé. Se garder en bonne santé est une gestion statistique.
Tant de critères entrent en jeu que la gestion peut concerner jusqu’au moindre aspect de la vie quotidienne. Certains finissent par ne plus avoir d’autre vie personnelle que prolonger cette vie, sans chercher vraiment à la remplir. Ceux-là hantent les cabinets médicaux, les salles d’examens complémentaires, les magazines et les réseaux dédiés à la santé. Cela devient un frein au développement personnel et à la qualité du vécu. L’idéal de Vie Éternelle pourrit la vie quotidienne.
Protéger Gaïa
De même que les instincts humains nous préservent spontanément et n’ont pas l’objectif de nous préserver, la Nature ne se préoccupe guère de sa propre conservation. Dans le passé elle a traversé des périodes apocalyptiques et d’autres où sa diversité fût exubérante. Attention, diversité n’est pas complexité. La diversité est la potentialité pour une complexité plus élevée, c’est-à-dire l’organisation d’une foule de contextes différents. Ainsi des cellules assemblées en organismes sont plus efficaces que des bactéries en colonies. Leur diversité de compétences est mieux coordonnée.
La diversité n’est pas un sacrement
Cependant, si la diversité est nécessaire à la complexité, elle se réduit à mesure que l’on grimpe ses échelons. Toutes les solutions n’ont pas la même efficacité. Les entités complexes sont à la fois adaptables et fragiles. Elles dépendent de la stabilité de multiples systèmes sous-jacentes. Édifices en équilibre délicat. Dans un environnement imprévisible et concurrentiel, peu d’espèces parviennent à un haut niveau de complexité.
Au sein d’une espèce particulièrement évoluée comme la nôtre, les mutations aléatoires ont une faible chance d’améliorer encore nos performances biologiques. L’évolution patine. Du moins pour l’animal humain. Ne nous leurrons pas. La dynamique admirable de l’évolution naturelle concerne les espèces les plus simples. Elles se diversifient tandis que le genre Homo s’est rétréci à son sommet. La diversité n’a rien de sacré. N’en faisons pas une caractéristique divine de Gaïa. Ce serait reporter notre ancienne révérence aux dieux sur des processus sans âme.
Une entité vivante est intégrée, pas seulement assemblée
Gaïa existe vraiment mais est encore plus fragile que ses enfants l’imaginent. Elle ne réside pas dans les hordes d’insectes, la ténacité des plantes ou la diversité animale mais dans les réseaux neuraux de ceux qui partagent cet idéal. Elle disparaîtra avec ces configurations, mais survivra dans les mémoires numériques et biologiques. Gaïa est une entité faite d’information, mais pas d’information intégrée comme celle qui définit une entité vivante et indépendante.
L’intégration signifie que chaque information acquiert sa valeur en relation instantanée avec toutes les autres. L’ensemble forme un tout de signification indépendante de la somme des parties, car d’innombrables configurations des parties conduisent à la même signification du tout. Nous sommes la même personne d’une seconde à l’autre alors qu’un nombre faramineux d’interactions biologiques ont bouleversé notre édifice moléculaire entretemps. Un être vivant est une surimposition (superposition+intrication) de systèmes d’information intégrés. Cependant l’intégration s’arrête à l’enveloppe corporelle. La société humaine est soudée par la relation étroite entre mèmes similaires mais n’est pas une entité intégrée. Gaïa non plus.
Dans l’intégration apparaît la conservation
Si notre évolution patine dans la biologie, elle continue sous forme virtuelle. Un nouvel univers d’information utilise les portes électroniques au lieu des biomolécules pour édifier des niveaux de complexité supplémentaires à notre réalité. Gaïa est un concept flottant dans cet univers. Elle a certes un pouvoir d’illumination, en tant que concept fédérateur, mais n’a aucune existence propre, affranchie de ses supporters. Aucun instinct de conservation. L’instinct est attaché aux créatures indépendantes, dont les désirs sont intégrés à l’action. Il existe bien davantage de pouvoir potentiel dans les futures IAs, qui satisfont au critère d’indépendance physique, que dans l’idéal de Gaïa. Les deux sont des assemblages d’information mais complètement intégrés dans le cas des IAs, seulement suspendus parmi d’autres concepts dans le cas de Gaïa.
L’autre faiblesse de l’idéal de Gaïa est qu’il n’évolue pas par lui-même. Des penseurs sont susceptibles de le remodeler mais il n’est pas propriétaire de ces transformations. Dès qu’un concept perd de son intérêt il est abandonné ou marginalisé. Pourquoi Gaïa ne s’est-elle pas imposée plus largement dans les esprits ? Parce qu’elle souffre de la concurrence d’un concept ontologique plus puissant : la préservation de nos conditions de vie favorables. Ce n’est pas sauver la peau de la déesse Gaïa qui nous préoccupe, c’est sauver la nôtre ! Ce concept-là est présent dans quasiment 100% des têtes humaines.
L’idéal fâché avec l’ontologie noircit la perspective
Comme pour le souci de bonne santé, le souci écologique est freiné par tout idéal qui ne s’appuie pas sur des forces ontologiques. L’idéal de Gaïa, pas plus que l’idéal de vie éternelle, ne se retrouve dans des forces spontanées, dans l’être des choses. La Nature ne cherche à sauver ni sa diversité ni ses espèces les plus ravissantes ni une pseudo-entité vivante de taille planétaire. Elle ne construit pas un Muséum d’Histoire Naturelle, où viendraient s’installer toutes ses productions passées pour y être préservées. Tout souci écologique fondé sur ce faux idéal risque de noircir davantage les perspectives de la vie humaine sur cette planète. En exemple, le souci des allemands de ne pas empoisonner Gaïa avec des déchets nucléaires a fait d’eux les européens au bilan carbone le plus catastrophique, et de l’Allemagne le moteur le plus actif d’un dérèglement climatique qui va bouleverser l’écosystème.
Se Respecter en tant qu’Égaux
La difficulté à s’adapter à un environnement imprévisible, qui sélectionne les espèces les plus adaptées, concerne aussi l’environnement social. Génétiquement inégaux, nous sommes sélectionnés par des environnements de naissance différents. Principe ontologique incontournable, qui nous individualise.
Mais ce principe n’est pas le seul. Notre réussite en tant qu’espèce tient à la solidarité entre ses membres. Une espèce est un vaste organisme social ; la coopération entre “cellules” fait son succès. Mutations et spécialisations ont rendu les neurones très efficaces pour améliorer la survie. Remarquons cependant que nous n’avons pas le plus gros cerveau. Le facteur majeur du progrès d’une espèce dans la complexité sociale est sans doute son réglage TD, soit le positionnement entre les deux principes déjà cités, l’effort adaptatif individuel (le T de soliTaire) et la coopération empathique avec les autres (le D de soliDaire).
Mutation Idéale
Ces deux principes, parvenus à l’état d’idéaux, sont devenus la Liberté et la Fraternité. Aïe ! Comme nous l’avons vu dans un précédent article, un autre s’est glissé au milieu et n’a rien lui d’un principe ontologique : l’Égalité prend en fait le contrepied de notre inégalité naturelle génétique. Que fait-elle là, en train de la dénigrer ? L’Égalité Démocratique est une solution simplissime apparue dans le monde des Idéaux pour résoudre le conflit entre Liberté et Fraternité. Car la bataille est souvent houleuse, destructrice. Le principe TD est par nature un conflit. Le monde en est constamment agité. Lassés par tant de chaos et vieillissants, nos penseurs ont décrété l’Égalité obligatoire entre humains, une sorte de chape de béton social censée étouffer tous les conflits.
L’Égalité fonctionnerait correctement si sa reconnaissance était vraiment universelle. En effet un principe, quand il n’est pas ontologique, se maintient seulement si c’est une conviction chez tous. L’idéal ne tient que par lui-même, qu’en tant que répétition dans les esprits. Il n’est pas distribué dans une âme comme dans une boîte aux lettres. Même chez ceux persuadés de son origine divine il reste cela : une conviction, quelque chose qui s’apprend au lieu d’être inscrit dès l’origine. Ce que la génétique inscrit à l’origine est son contraire : l’inégalité. Une évidence pour le petit enfant comme pour l’adulte.
À nouveau avec ce troisième exemple, l’idéal n’est pas fondé sur une force ontologique. Il freine le développement de nos vies plus qu’il ne le favorise, en étant impossible à atteindre. Tendus vers ce résultat illusoire, nous déglinguons d’autres organisations sociales, d’autres aspects importants de nos existences. Comment, au final, se servir des idéaux pour qu’ils profitent véritablement au plus grand nombre ?
La solution idéale ?
La solution se résume ainsi : Servons-nous des idéaux comme de poteaux indicateurs et non de ligne d’arrivée. Une société est en évolution constante et chacun sait que l’idéal est illusoire. Sa déclinaison pratique est une ligne en pointillé. Son franchissement est plus facile et l’idéal est jugé réalisé. L’étape est importante mais tend à diminuer la motivation. L’idéaliste, chaudement félicité, va admirer ses statues et son nom accroché au coin des rues. Tandis que les problèmes demeurent ou renaissent…
Si l’idéal est un poteau indicateur, il n’existe pas de ligne d’arrivée, seulement un relai à transmettre à plus jeune et motivé quand le politicien est fatigué. La société peut avancer, néanmoins, et sa structure s’adapter aux transformations de ses membres. L’idéaliste efficace est un berger qui connaît les habitudes de ses moutons, et non un constructeur de barrières qui les parquent dans l’utopie qu’il a imaginée.
Rendons nos idéaux fonctionnels
L’idéal fonctionne lorsqu’il canalise les forces ontologiques. Prendre soin de sa santé est rendre les nouvelles habitudes si plaisantes que les anciennes abandonnent la partie. Ce n’est pas analyser chaque parcelle de son être mais s’éprouver globalement dans un état de bien-être, peu importent quelques tendances peu recommandables au sein de la globalité. Sauver Gaïa n’est pas garder fraîche sa couronne de fleurs et son étonnante diversité d’animaux époustouflants, c’est faire en sorte qu’elle guérisse de sa crise de l’Anthropocène sans faire retourner les bipèdes dominants derrière leurs charrues. Enfin garder la société fraternelle n’est pas déclarer artificiellement les individus égaux mais rendre les inégalités moins visibles en ne les exposant pas dans des niches sociales fermées.
Le chemin de vie est un chemin de complexité. Lorsqu’une personne fait un choix de vie simple, elle a en fait exploré de nombreux chemins depuis la naissance et c’est en réalité un choix complexe, fondé sur de multiples critères. Les plus curieux continuent, étudient, voyagent, intègrent de nouveaux défis. Qu’est donc cette pérégrination dans la dimension complexe ? C’est élargir nos ressources mentales mais aussi leur attribuer des priorités. Impossible d’additionner des tâches supplémentaires, de nouvelles ambitions, sans les hiérarchiser. De même, c’est en hiérarchisant nos désirs que nous les intégrons au mieux dans la société.
La réussite au tranchoir !
Comment faire ? Hé bien coupons nos idéaux comme des saucissons, pour les rendre plus faciles à manipuler ! Empilons les tranches à la verticale, à côté de la structure sociétale, elle-même une pyramide de cercles sociaux. Il s’agit maintenant d’insérer chaque tranche de notre idéal personnel à l’étage idoine de la pyramide.
Délicat ? Mais comment faire autrement ? Si je précipite mon idéal comme un bélier contre la pyramide, je constate en général qu’elle est bien plus solide que ma volonté. Mon énergie s’épuise. Je fais demi-tour et vais bouder. J’en veux à tout le monde, à la pyramide entière. Tandis que si j’insère patiemment chacune de mes tranches au bon niveau, le monde se met à me ressembler. Ai-je l’impression qu’il y a beaucoup de place en bas de la pyramide et peu en haut ? Peut-être ai-je voulu placer trop rapidement mes tranches en hauteur, avant d’avoir assuré celles du bas…
Alors qui sait ? Avec la ténacité du randonneur de haute montagne, peut-être placerons-nous, vous et moi, notre petit caillou en haut du tertre…
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