Épilogue: La ré-hiérarchisation personnelle

Abstract: Réanimer le collectivisme général commence dans les esprits individuels, non pas en laissant critiquer nos manières de nous singulariser mais en prenant l’initiative de mieux gérer notre conflit intérieur entre individuation et appartenance, par une ré-hiérarchisation personnelle.

La tyrannie est une sécrétion individuelle

Nos dysfonctionnements sociaux ne viennent pas des tyrans mais des citoyens, de nos dysfonctionnements personnels. Il n’existe pas de dictateur sans pouvoir porté par sa base. Abattre une hiérarchie qui ne nous plaît guère est avant tout reconsidérer la nôtre, la personnelle. Celle-ci, trop sommaire, nous empêche d’inclure une grande partie de nos congénères, beaucoup trop grande pour rester en paix. Elle augmente notre pouvoir mais stoppe brutalement sa portée. Morcellement de la société humaine. À chaque frontière trop abrupte pointe perpétuellement la menace d’un conflit meurtrier. Quel est le vaccin capable de sauver notre société ? ai-je demandé dans le dernier article de cette enquête. Ce n’est pas se prémunir contre un dirigeant ou un régime politique, c’est redresser notre hiérarchie personnelle.

Comme je vais le détailler dans cet épilogue, une telle solution est simple, accessible à n’importe qui, parce qu’elle est déjà présente en chacun d’entre nous. La vaccination de masse est facile. Elle utilise un principe ontologique, ou “naturel” préférons-nous dire aujourd’hui. La hiérarchisation organise notre mental depuis la naissance, comme nous-mêmes, en tant que citoyens, organisons la société. ‘Citoyen’ et ‘société’ sont des constructions. Lorsqu’une construction s’avère défaillante, regardez comment elle est montée. Si elle tremble, vous n’en demandez pas la raison à un type paniqué perché au sommet ; vous examinez les murs et les fondations.

Le plus grand des défis

De même, ce n’est pas à nos dirigeants qu’il faut demander pourquoi la société ne nous apporte pas tout ce que nous désirons. Interrogeons des ingénieurs sociaux. Malheureusement ils n’ont pas les plans de la construction. Et pensent-ils seulement à regarder les fondations ? Incrusté dedans, le citoyen est aujourd’hui à la fois tellement sanctifié dans ses droits qu’il en devient anonyme. Il s’est tant multiplié qu’il en devient infime. Ainsi l’ingénieur social ne se préoccupe plus guère des constituants élémentaires de la base, considérant comme acquis qu’il s’agit d’atomes égaux en importance.

Égaux ? Sûrement non. Il faut être idéaliste perché bien haut pour voir les individus si petits qu’on ne distingue plus leurs personnalités variées. Accorder un droit égal à l’importance n’implique pas qu’il va être utilisé. S’arrêter à ce droit dénigre un libre-arbitre essentiel, celui de le faire fructifier. Et si l’on repartait de ce libre-arbitre, au lieu de traiter les adultes comme s’ils étaient encore des ovocytes de même potentialité ? Si l’on se demandait ce que chacun peut faire librement aujourd’hui, quel que soit son âge, son niveau d’éducation, son patrimoine financier et culturel, pour sauver la société des humains et probablement, au final, guérir la planète ? Reconstruire une société fusionnelle, voilà le plus individuel autant que le plus collectif de nos défis contemporains.

Quels conflits au XXIème siècle?

N’est-il pas paradoxal de voir le collectivisme se dégrader en période d’abondance tandis qu’il se réveille au sortir d’une guerre, au milieu des décombres et des cadavres ? L’esprit est utilitaire. Il néglige ce qui semble tenir debout tout seul, mais réagit vigoureusement aux désastres qu’il n’a su prévoir. Lorsque nous disons qu’une guerre entraîne une prise de conscience, c’est de conscience collectiviste dont il s’agit. La rupture est franche entre une coopération facultative avant, et indispensable après.

Pourquoi apparaît-elle facultative à chaque nouvelle génération ? Elle fait partie du décor. Nés dans une société coopérative, ce cadre protecteur nous semble éternel, comme si nous avions quitté un petit utérus pour arriver dans un grand. L’Histoire du monde dit autre chose mais nous l’apprenons scolairement, sans l’avoir vécue. Ses soubresauts ne sont-ils pas des archaïsmes provoqués par des ancêtres primitifs et crétins ? Les derniers humains pouvant parler du vécu de deux guerres mondiales sont en train de disparaître, la page est tournée. Pourtant, en prenant la peine de feuilleter le livre entier, l’on s’aperçoit que les conflits n’ont fait que prendre de l’ampleur et devenir incroyablement meurtriers. Quelle tournure va prendre celui concocté par les lapins crétins du XXIème siècle ?

Une conscience collective en retrait

Le rôle d’une conscience collective est de définir des priorités. Elle hiérarchise les grands problèmes de l’Humanité. Faut-il se préoccuper davantage du sort de l’écosystème planétaire ou de l’éventualité d’un nouveau conflit mondial ? À peine franchi le cap d’un siècle qui a fait 90 millions de morts sur les champs de bataille, peut-on postuler que l’espèce humaine est assez mûre pour se mobiliser collectivement en faveur de Gaïa et sauver son atmosphère accueillante ? Notre espèce dispose-t-elle d’une conscience collective assez unifiée pour un tel projet ?

Cette conscience se dirige-t-elle vers l’unification en fait ? Elle a bénéficié d’une vague antique. Les grandes religions se sont répandues comme des traînées de poudre, s’enracinant fermement dans la totalité des couches sociales. Tandis qu’aujourd’hui nous assistons à un reflux. Les wokismes créent une multitude de groupes fermés, pleins d’ostracisme pour ceux qui pensent différemment. Nous ne savons plus plaire aux autres pour leur faire partager nos convictions. Un nouveau prosélytisme guerroyeur a morcelé la conscience collective.

Jésus revient !

Certes les religions n’ont pas réussi à unifier l’espèce humaine et ont créé leurs propres conflits —démontrant qu’elles propagent la parole des Hommes plutôt que celle d’un Dieu unique. Le sectarisme observé aujourd’hui semble moins meurtrier. Néanmoins, en étant devenu un droit institutionnel, il dégrade davantage notre coordination générale. Le droit à l’égalité d’importance a créé une mosaïque de huit milliards de sectes individuelles radicalisées.

Par un retournement stupéfiant de l’Histoire, ce sont les grandes démocraties qui deviennent menacées de guerre civile davantage que les autocraties, et cela en raison de l’état critique du collectivisme. Le danger a motivé ce dossier et dont vous lisez maintenant l’épilogue. Avons-nous une chance de voir Jésus, le chantre du collectivisme, ressurgir de sa tombe et nous sauver ensemble ? Ou camperons-nous sur cet individualisme forcené qui nous a fait déjà lui percer le flanc ?

Kantien ou Nietzschéen

Le conflit intérieur entre individuation et appartenance, nous l’éprouvons tous c’est une certitude. Mais sommes-nous capables de nous l’approprier ? Il est à la fois très facile de se regarder tiraillé entre les deux tendances et fort difficile de ne pas prendre parti. Chaque évènement de notre vie nous y incite. Quoi de plus réactif qu’un ego bafoué, de plus désolée qu’une empathie piétinée ? L’un comme l’autre, ils nous lancent dans des actions désespérées ou créent des inhibitions invincibles. Garder le contrôle de notre vie, finalement, et réussir à s’éloigner de cette individuation et de cette appartenance radicalisées, du soliTaire qui veut assassiner le soliDaire et vice versa.

Est-ce une question d’intelligence ? Non, de très grands philosophes ont échoué à s’en détacher. Le prototype du philosophe attaché au collectif est Kant, tandis que le prototype attaché à l’ego est Nietzsche. Le premier a enfermé sa vie personnelle dans une boîte verrouillée, afin qu’elle ne vienne pas entacher ses réflexions générales sur l’Humanité. Le second a lancé son ego dans un maelström et a refusé toute aide extérieure afin de conserver sa flamme survoltée. La plupart d’entre nous ont heureusement un projet de vie plus équilibré, et je vois comme une réussite d’admirer, ou de plaindre, Kant autant que Nietzsche.

Garder la contradiction

Pourquoi refuserions-nous le meilleur des deux pôles, individuation et appartenance ? Pourquoi s’amputer de l’un d’eux ? Le trouble vient d’une idée finalement assez bizarre : il faudrait qu’un conflit soit toujours résolu. Gain de tranquillité d’esprit, mais aussi une perte cruciale : l’intérêt de la contradiction. Ai-je besoin de vous convaincre d’un tel intérêt ? Nous ne cessons pas de contredire, pour renforcer notre identité. Notre esprit a besoin de repères mais ne doit pas s’enfermer dans une geôle identitaire. Résoudre parfaitement un conflit nous appauvrit. Pour qu’il nous enrichisse vraiment, il faut en garder une trace. Comment procéder ?

Notre esprit s’en occupe avec le plus grand des naturels. Fait de couches de complexité, il installe des solutions et garde la trace des alternatives possibles. Il peut toujours déstructurer la complexité de notre comportement, revenir à une action plus instinctive, et repartir sur une voie différente. Notre esprit est naturellement hiérarchisé dans ses tâches, étoffe sa complexité depuis la petite enfance. Nos convictions ont des racines, que nous n’avons pas en vue. Seule la partie aérienne de ces plantations mentales émerge en conscience.

La conscience est un plan de travail

Mais alors si nos pensées proviennent d’une hiérarchie naturelle depuis les profondeurs de l’inconscient, pourquoi ne continuent-elles pas sur le même mode en pleine conscience ? Pourquoi devons-nous choisir de hiérarchiser ou non nos représentations ? Le choix semble incontestable pour le concept du corps par dessus ses organes mais contestable pour une société par dessus ses citoyens. Si la conscience se trouve ainsi dans l’expectative, c’est donc que les problèmes ne se présentent pas à elle déjà hiérarchisés ; ils sont côte à côte et elle doit leur attribuer des poids.

Pourquoi cette particularité de la conscience au sein du fonctionnement mental ? Elle est un espace de travail global. “Espace” est son titre en neuroscience mais “plan” de travail serait plus juste. La conscience traite séquentiellement les problèmes les uns après les autres. Elle ne les agence pas spatialement, pas d’emblée du moins. Chaque problème est associé à un cadre, et ce cadre peut inclure une grande variété de dimensions, physiques, mathématiques, sociales, etc. Les objets mentaux sont saisis séquentiellement par notre conscience, dans leur cadre, comme les wagons d’un train de marchandises qu’il faut décharger les uns après les autres.

Reçu par le Président chinois

J’insiste sur l’importance de comprendre cette différence cruciale entre la constitution verticale, hiérarchisée, de nos pensées, et leur traitement horizontal sur le plan de travail conscient. En exemple, supposons que vous soyez journaliste ayant décroché un entretien avec le Président de la Chine. Comment s’est formée votre représentation consciente à son sujet ? Le noyau est son image physique, assemblage de points, traits, visage. À cette image se surimpose des déterminants sociaux : rôle présidentiel, histoire personnelle du Président, idéaux qu’il propage, etc. Votre propre présence complète la scène mentale de cette rencontre. Vous avez un positionnement social et un niveau de responsabilité différent du Président.

Votre scène consciente est intégralement hiérarchisée, depuis les minuscules pixels visuels assemblés par vos aires optiques jusqu’aux images du Président chinois et de vous insérées dans la pyramide sociale. Néanmoins la verticalité intrinsèque à ces pensées n’apparaît pas forcément dans la discussion que vous aurez avec le Président. Vous pouvez débattre séquentiellement, horizontalement, d’un sujet où cette hiérarchie ne joue aucun rôle, par exemple des mérites comparés des cuisines française et chinoise. Par contre si vous lui posez des questions sur la société chinoise, la dimension hiérarchique surgit instantanément dans vos “plans de travail” conscients à tous deux. Chacun se replace à son étage dédié.

Une pensée naturellement hiérarchisée mais inconsciente de l’être

Voici où je veux en venir : notre pensée est naturellement hiérarchisée mais il faut un travail conscient pour la voir ainsi. Nous devons modéliser la complexité du monde pour la reconnaître, alors que nous n’avons besoin d’aucune intelligence particulière pour l’éprouver. Nos représentations sociales fonctionnent ainsi : j’éprouve spontanément mes cercles sociaux et leur hiérarchie est implicite dans mes comportements. Mais pour la modifier volontairement je dois ajouter son modèle en conscience. Il m’est difficile de corriger la hiérarchie sociale sans avoir compris que j’en suis une moi-même, mentalement, que celle-ci est entièrement intriquée à la sociale et plus généralement au monde dans son intégralité.

Ces remarques vous semblent-elles évidentes ? Elles ne le sont pas  pour ceux qui s’efforcent aujourd’hui d’abolir la hiérarchie sociale ! Comment insérer nos hiérarchies personnelles dans une société composée d’unités toutes semblables ? Comment y insérer des échelles conçues par d’autres que nous ? Comment positionner notre identité dans une telle société ? Nous le faisons à tâtons, en cherchant des points communs avec les autres. Nous voici soudain installés dans un groupe ! Et les autres ? Faut-il faire comme s’ils n’existaient pas ?

Fondu dans un béton de masse

La société égalitariste est un déni de l’identité particulière de chaque être humain. Un déni de la manière dont notre esprit est naturellement construit. Ce déni a provoqué une crise, suivie d’une rébellion majeure de l’identité : c’est l’essor actuel du populisme et des wokismes. Les gens ne veulent pas être comme les autres. L’esprit individuel déteste être fondu dans la masse. Il cherche à s’échapper de cette chape de béton dans laquelle la mafia égalitariste l’a coulé.

Ce qui est détestable dans la hiérarchie est d’apparaître insignifiant tout en bas, imperceptible dans notre similitude avec tant d’autres citoyens d’importance mineure. Nous accusons la hiérarchie de cet état, et cela nous incite à vouloir la faire disparaître. Malheureusement le principe même de société disparaît en même temps. Plus rien ne nous déclare égaux aux autres mais plus rien ne gère nos relations avec eux. La coopération devient difficile. Les conflits s’exacerbent. Réduit à soi, l’on entre en guerre et l’on s’appauvrit.

Un flux ascendant

La solution adéquate n’est pas d’effacer la hiérarchie mais au contraire de l’étendre, lui redonner une plus grande profondeur, une envergure telle qu’il devient facile d’y intégrer notre hiérarchie personnelle et de l’y mouvoir. Peu importe où se situe notre importance, le principe d’une hiérarchie est une attraction par le haut. En nous y incluant, nous encourageons ceux d’en haut à nous tracter et ceux d’en bas à demander notre aide. Le vieillissement libère de la place au sommet de la hiérarchie. Le flux général est toujours orienté vers le haut. Si nous manquons de place, c’est qu’il faut étager davantage la hiérarchie et non pas chercher à s’en débarrasser.

Réciproquement, le désir d’abolir la hiérarchie sociale indique que nous manquons de hiérarchie personnelle. Nous ne savons plus étiqueter nos désirs avec des priorités. Tous doivent être satisfaits dans la semaine ! Les réseaux sociaux ont rétréci notre univers intérieur dans l’espace d’un écran et le temps d’un instant. Sa hiérarchie s’est aplatie comme un accordéon sur lequel on se serait assis par mégarde. Aïe ! Il passe bien trop de choses attirantes sur l’écran pour que nous pensions à nous lever et le laisser jouer sa musique. Tout émoustillés par les informations qui défilent, nous nous sentons gorgés de libre-arbitre, alors qu’il n’a jamais été aussi essoré par le manque de variété de nos tâches. Raison pour laquelle il est si facile aux influenceurs d’avoir prise sur nous. La prise de conscience n’est pas la nôtre, elle fait partie d’une mode qui nous est tendue.

Les noeuds du Malin

Deuxième allusion à la prise de conscience. Que ce terme est galvaudé !! Et pourtant qui s’y exerce ? Combien de fois notre conscience saisit-elle quelque chose d’un oeil vraiment neuf, dans une journée, au milieu de ses ruminations habituelles ? Un exemple courant pour un rhumatologue : un nombre incalculable de douloureux du dos économisent leurs efforts. Quand j’affirme que c’est une mauvaise idée et leur explique pourquoi, leur regard s’éclaire soudain : « Mais vous avez raison, ça va mieux quand je bouge, en fait ». Ils l’éprouvaient parfaitement mais manquait la prise de conscience. Des années de douleurs n’ont pas modifié les habitudes.

Une habitude est une routine inconsciente qui se défend. Pas facile à corriger. Nous sommes une somme de nous habituels, chacun d’eux éveillé par un contexte précis. Croire en la force de notre libre-arbitre, voilà une croyance véritablement galvaudée ! C’est en prenant conscience de sa faiblesse que nous pouvons l’exagérer. Plus une croyance est forte plus elle démontre un très faible libre-arbitre pour s’en dégager. Se voir ligoté est un préalable à savoir défaire ses noeuds.

Traverser le monde ne suffit pas, il faut prendre l’ascenseur

En dénouant un problème je ne le fais pas disparaître, je m’en évade. Je le regarde d’en haut. J’ai créé un surplomb dans ma hiérarchie personnelle. De cet étage je peux à présent discuter avec ceux qui ont réussi à y grimper aussi. Avec leur aide je peux m’élever encore. Ma hiérarchie intérieure s’étoffe si j’admets qu’il en existe une extérieure qui s’impose à moi. Je ne pourrais jamais l’embrasser toute entière. Je suis un ascenseur qui s’y promène.

Cette hiérarchie extérieure, comment doit-elle se révéler pour que j’admette qu’elle soit supérieure à mes propres désirs ? Que peut-on placer à son sommet ? Il me faut vous parler un instant de Dieu, car il est indissociable de la notion de hiérarchie. Et il est un concept passionnant en nous plaçant à la fois individuellement et collectivement sous son regard. C’est-à-dire que Dieu donne une importance équivalente à nos deux pôles, l’individuation et l’appartenance. Il examine le soliTaire comme le soliDaire, interdit de se retrancher seulement dans l’un ou l’autre. En ce sens, Dieu symbolise ultimement notre auto-observation, cette petite fraction de notre mental qui s’affranchit du mensonge, qui tente de ne rien exclure dans l’analyse de notre destin.

Ô Tabernacle !

Quel rôle a Dieu pour la plupart d’entre nous ? Je veux parler du concept de Dieu et non des icônes que souhaitent nous vendre telle ou telle religion. Dieu symbolise un pouvoir ultime sur l’Univers. Comme nous ne l’avons jamais rencontré, il symbolise en fait l’idée formée par quelques-uns de nos réseaux neuraux à propos d’un tel pouvoir. La croyance qu’un Dieu authentique soit venu déposer le message de son existence chez des prophètes a transformé ces réseaux neuraux en tabernacle sacré. Pourquoi le sacré soulève-t-il autant d’enthousiasme ? Qu’avons-nous mis à l’abri ainsi ?

Dans le tabernacle se trouve le coeur de notre identité. Un monde perpétuellement changeant oblige nos représentations mentales à se configurer sans arrêt. C’est épuisant. Physiquement épuisant. Le cerveau est censé économiser ses ressources, elles n’ont pas toujours été aussi facilement disponibles qu’aujourd’hui. Pour une raison bassement évolutive, nous avons besoin de stabiliser notre identité. Excellente idée si tous nos désirs sont satisfaits. En pratique ils ne le sont jamais, et ce qui devient stable est un esprit empli de petites névroses et d’insatisfactions.

Tabernacle ou poudrière?

En mettant une telle identité dans le tabernacle, c’est un bâton de dynamite que nous y fourrons. Il peut exploser à tout moment, faisant voler la Foi en éclats ! Les prêtres, gourous et politiciens qui le manipulent connaissent sa dangerosité. Ils le saisissent avec des pincettes et le lancent sur les objectifs qu’ils ont désignés. Bien fanatisé, le bâton explosera au milieu des infidèles !

Heureusement pour la plupart d’entre nous, des mélanges avec une chimie sociale plus douce ont rendu nos identités moins instables. Néanmoins il existe toujours quelque chose dans le tabernacle auquel nous refusons de toucher, même lorsque notre auto-observation nous crie de le faire. C’est ainsi, il y a un coeur intangible dans notre identité, que nous avons appelé l’âme.

Dieu®, service 24H/24

Les idées que nous pouvons avoir à son sujet forment l’image de Dieu. C’est notre propre divinité intérieure que nous cherchons à travers les icônes religieuses. Les prophètes nous évitent tout effort. Ce n’est pas leurs descriptions monumentales de Dieu qui nous séduisent par elles-mêmes. Elles viennent seulement combler un immense vide en nous, un défaut de visualisation du soi. Nous nous éprouvons en tant qu’âme mais sommes incapables de la voir, et son destin semble de disparaître avant d’avoir été exposée à la lumière. Dans ce néant, Dieu vient installer son tabernacle, et soudainement nous existons pleinement, parce que quelqu’un pourra toujours contempler notre âme, quel que soit notre condition physique.

Dieu est l’artisan ultime. Qui pourrait vivre convenablement sans un tabernacle ? Il en existe aujourd’hui une multitude de modèles, dont une grande partie destinée aux non-croyants. La science a fabriqué ses propres autels, bétonnés de lois fondamentales. Politique, justice, philosophie, ont décoré les leurs d’idéaux tous plus magnifiques les uns que les autres. Le monde du spectacle n’est pas en reste. Il existe aujourd’hui davantage de Dieux sur la scène que dans les cieux. Les Jeux célèbrent la gloire d’Olympie.

La mise en conformité

Tout cela est profitable quand Dieu est au-dessus des passions. Les passions sont des petits propulseurs attachés à nos désirs, qui les envoient repeindre le Ciel. Mais le Ciel est bondé de ces engins affairés. Il devient un immense barbouillis si rien ne vient les organiser. La passion de Dieu est de n’en privilégier aucune. Son reflet, qui effectue le même travail dans notre esprit, est l’auto-observation. Rehausser sa divinité personnelle est mieux s’auto-observer, inclure dans ce regard une variété croissante de critères, et comme beaucoup sont contradictoires il faut les hiérarchiser. Se hiérarchiser.

Aucun effort n’est nécessaire. Le mental étoffe spontanément sa hiérarchie complexe, depuis la naissance, en chacun d’entre nous. Ce processus bute fréquemment sur deux grandes prétentions de l’ego, d’une part l’arrêter parce que nous aurions l’impression de connaître suffisamment, d’autre part propulser directement nos désirs au sommet, devenir adulte-roi, à présent déjà précédé de l’enfant-roi.

Un sommet bien encombré

Nos hiérarchies personnelles sont devenues soliTaires. Elles dessinent leur monde simplifié autour du principe égalitaire, refusent de se confronter aux autres et de se compromettre. En même temps que ces mondes soliTaires se ferment, l’univers soliDaire se désagrège. L’immensité du cosmos qui s’est dévoilée à nos yeux depuis quelques générations n’a pas incité à en faire partie mais au contraire à y dénicher la planète de rêve qui nous conviendrait. Nous cherchons tous à devenir Dieu dans notre propre monde. Et n’avons plus honte de l’avouer.

Pourquoi de la honte ? C’est une idée viciée de Dieu, à l’évidence. Quelle que soit l’image que nous lui donnons, il reste le symbole du collectif, de ce qui est supérieur à nous. En devenant Dieu nous éjectons notre part soliDaire et devenons pur Ego. C’est bien ce que nous avons sous les yeux aujourd’hui : des réseaux de purs Ego(s). Des opinions divines.

Il me faut à présent clore ce grand sermon, mes soeurs, frères, et non-affiliés. La cérémonie d’enterrement de notre collectivisme est terminée. La cathédrale est vide, et je me parle à moi-même. Le sermon ne peut s’en échapper que par les réseaux, et les réseaux le truqueront. Je cherche une fin heureuse, et n’en trouve aucune. Je sors et contemple mes petits-enfants qui jouent sous le soleil. Peut-être est-ce eux qui l’imagineront…

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