Le secret de l’efficacité des guérisseurs et des patasciences

Abstract: Le placebo étonne en fonctionnant même chez ceux informés qu’il n’a pas le moindre effet biologique. Jane Risen, une chercheuse de Chicago, l’explique en reprenant le modèle à 2 systèmes de pensée de Daniel Kahneman : le système 2 rationnel détecte l’erreur superstitieuse du système 1 intuitif mais ne la corrige pas. Cela produit l’acquiescence, conviction bancale du type : « Je n’y crois pas mais on ne sait jamais… ». L’acquiescence est un concept très intéressant mais n’est pas expliquée correctement par le double système de Kahneman puisque justement c’est une fusion de contraires. Quel système fait la synthèse des deux autres si l’on raisonne en termes de réseaux indépendants ? Je propose une autre explication à l’effet placebo, dans le cadre de la théorie du Stratium, et l’étend au concept d’hormèse, l’idée que l’organisme s’auto-renforce dans l’adversité et y est encouragé par le soin.

Le placebo, un fonctionnement très courant

Les placebos fonctionnent. Remarquez que je n’ai pas dit « sont efficaces ». Ils fonctionnent, c’est une certitude. Pour assurer un certain succès des guérisseurs et patascientifiques —ceux qui utilisent des interprétations bidonnées de la science, ce qui fait beaucoup, beaucoup de monde sur le net.

Où fonctionnent-ils ? Pas au niveau biologique. C’est la définition même du placebo. Pas d’effet biologique retrouvé. Les effets sont liés à l’intervention thérapeutique, au soin. Qu’est-ce qui reconnaît l’existence d’un soin, chez l’adulte comme chez l’enfant ou l’animal ? Le cerveau. Les placebos ne sont pas dotés « d’efficacité biologique », ils fonctionnent sur le cerveau.

Gogos et sceptiques

Du moins sur la plupart d’entre eux. Pas tous. Certains humains seraient-ils dotés d’un cerveau de pigeon et d’autres d’un centre de commandement technologiquement avancé avec un radar à arnaques ? C’était un peu l’idée au siècle dernier. Il y avait les gogos et les rationalistes à qui on ne la fait pas. Les premiers dépouillés par les charlatans, les seconds traités dans les règles de l’art médical.

En fait on trouve en tout cerveau du pigeon et de la raison. Ce qui les sépare est juste une question de célébrité. Le “pigeon” en nous c’est en fait l’émotion, largement partagée dans le règne animal, et dont l’efficacité reste incomparable pour décider. La raison quant à elle, que j’appelle l’Observateur intérieur, sait rendre notre scène mentale bien plus sophistiquée, mais pas nous y lancer en tant qu’acteur. Les accidents neurologiques qui déconnectent le cortex préfrontal des aires émotives font des gens toujours parfaitement rationnels mais incapables de prendre une décision.

Beaucoup d’émotion potentielle dans le soin

L’évolution de notre personnalité est une suite d’actes impulsifs rétro-contrôlés par la raison et qui sédimentent en habitudes. L’Observateur freine les comportements futiles ou contre-productifs plus qu’il ne décide des nouveaux. Il faut de l’émotion pour se lancer dans une nouvelle entreprise. Ces pulsions se mélangent aux prédictions de l’Observateur pour donner une signification à notre scène mentale. Un comportement s’enclenche. N’oublions pas en effet que c’est la scène qui se met en branle toute seule. Il n’existe pas de metteur en scène pour hurler « Action! ».

Nos centres émotifs sont les plus réceptifs au soin. Ils déclenchent en retour des effets sur l’organisme, sécrétion d’endorphines, endormissement facilité, cicatrisation facilitée. Si bien qu’il existe des conséquences biologiques indirectes d’un placebo. Mais relativement limitées et pas forcément celles qui nous intéressent. Un consommateur de placebo pour l’arthrose espère que son cartilage sera protégé. Mais non, seules ses douleurs peuvent s’atténuer.

« Tu fais un blocage »

L’Observateur du rationaliste, lui, tend à bloquer ces effets, qu’il juge illusoires. Concrètement, le rationaliste s’interdit tout bénéfice d’un placebo en empêchant ses émotions d’agir. Il juge les bénéfices plutôt modestes et d’ordre émotionnel justement, ce qui ne l’intéresse guère. Il est rarement débordé par son anxiété. Mais n’y aurait-il pas d’autres profits à espérer ? Nous n’avons pas fini de découvrir le champ des effets possibles d’un placebo. Ses limites sont imprécises, n’incluant pas que la simulation d’effets biologiques. La musique, la méditation, la pratique sexuelle, entrent dans ce champ thérapeutique, en tant que sécréteurs de dopamine.

Certes il manque au placebo un mode d’action validé précisément en neurosciences. Nous ne pouvons que réfléchir au principe général qui le sous-tend. Ce je vais faire dans les prochains paragraphes. Nous entrons dans le monde des hypothèses.

Placebo et hormèse

Le principe commun aux placebos est intuitif : l’espace de travail conscient influence les zones cérébrales plus directement connectées à la physiologie corporelle, stimulant son bon fonctionnement. Cette physiologie est en effet une dynamique, souvent en veille aujourd’hui en l’absence d’activité physique intense et d’évènements traumatiques. Le corps est conçu évolutionnairement pour épargner ses ressources. Le mode de vie contemporain, sédentaire, ne les épuise guère. Il perd ses capacités d’adaptation à l’adversité.

Pas d’hormèse. L’hormèse est l’hypothèse que l’organisme se renforce dans l’adversité, tant qu’elle n’atteint pas des sommets impossibles à franchir. Idée quasi-contraire au précautionnisme qui prévaut actuellement en médecine : il faut protéger l’organisme de toute agression. L’hormèse incite au contraire à stimuler ses ressources adaptatives par des agressions mesurées. Un exemple : des coups de soleil intermittents encourageraient le système immunitaire à se débarrasser des mélanocytes anormaux et seraient plus efficaces contre les mélanomes que l’éviction de toute exposition solaire.

Prendre soin de sa propre existence

L’hormèse n’est qu’une hypothèse intuitive, également, mais fondée sur l’ontologie corporelle. L’organisme est une auto-organisation. Chaque étage de sa complexité devient d’autant plus stable qu’il a traversé avec succès de multiples contextes différents. Les petits écarts n’ont pas été trop menaçants. Son organisation plus réactive est devenue résistante aux grands écarts.

Dans ce cadre, toujours hypothétique je le rappelle, le placebo aurait pour rôle d’éveiller périodiquement cette réactivité de l’organisme face aux situations inconfortables ou menaçantes. Sans doute son effet variable vient-il de la variabilité de nos modes de vie. Certains ont déjà des journées très stimulantes, physiquement et intellectuellement. L’hormèse est permanente pour le corps comme le cerveau. Ainsi pourrait-on expliquer l’excellente longévité aussi bien du campagnard quotidiennement affairé dans son jardin que de l’érudit passionné par ses livres. Le meilleur effet placebo est d’être au service de son oeuvre. Se proposer une oeuvre, mentalement, est prendre soin de son existence.

Kahneman et Risen clarifiés par Stratium

En conclusion je reviens brièvement sur le modèle à 2 systèmes de pensée de Kahneman, lui aussi une hypothèse, qui a servi à Jane Risen pour expliquer le placebo. « Je n’y crois pas mais on ne sait jamais… » définit l’acquiescence, une croyance irrationnelle mais non éradiquée par la raison. En fait l’acquiescence est un phénomène très répandu dans le mental, voire un mécanisme élémentaire. Quel concept ne fusionne pas des éléments étrangers entre eux ou contradictoires ? Au bas de la complexité l’image d’un objet fusionne géométrie, couleur, texture. En haut l’image d’un congénère fusionne des caractéristiques volontiers incohérentes, gentille là méchante ailleurs. La raison ne s’y retrouve pas. Et pourtant l’image est unique. L’acquiescence est partout. Le mélange raison/émotion à propos du placebo est banal.

Avec la clarification de Stratium, le double système de pensée de Kahneman est l’interaction en conscience de l’Observateur préfrontal, pourvu de ses raisons, avec les propositions inconscientes, fortement impactées par les émotions. Cette interaction est moins un conflit qu’un rétro-contrôle hiérarchique. L’Observateur remodèle les propositions inconscientes pour améliorer la cohérence de la pensée consciente. Chez le rationaliste les émotions sont déjà contingentées en arrivant à l’étage conscient. Pas chez l’anxieux. L’intégration raison/émotion n’a pas lieu au même niveau, inconsciente chez le rationaliste, consciente chez l’anxieux.

Refermons les hypothèses. J’espère qu’elles auront sur vous un excellent effet placebo ! Rappelez-vous : même si elles sont fausses, elles fonctionnent. Pour notre plus grand bénéfice ? Seulement à condition de ne pas nous détourner d’une meilleure raison…

La suite pour le praticien : Toucher n’est pas tendre

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‘Guérisseurs, je n’y crois pas mais on ne sait jamais’, Yves-Alexandre Thalmann Cerveau & Psycho 5/23
Believe what we do not believe: acquiescence to superstitious beliefs and other powerful intuitions, J.L. Risen, Psychological Review 2020

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