Stratium (théorie de l’esprit)

Abstract: Stratium est une théorie de l’esprit en tant que système multi-étagé ajoutant des niveaux de signification. Il n’existe pas d’homoncule pour lire le résultat, obligeant à dire que ces niveaux lisent eux-mêmes leur constitution et “épaississent”, degré après degré, le phénomène appelé ‘conscience’. À cette théorie téléologique et fonctionnelle s’ajoute une théorie ontologique, montrant comment les réseaux sont concentrés anatomiquement à la base de la hiérarchie neurale, et très dispersés aux étages supérieurs. ‘Stratium’ est une contraction de ‘strates’ et ‘atrium’.

Des photons pour un visage

Stratium est une théorie de l’esprit en tant que système multi-étagé ajoutant des niveaux de signification. Prenons l’exemple du traitement visuel. En partant des stimuli rétiniens : Cône récepteur : ‘Je suis un point’. Neurone du 1er niveau hiérarchique, groupant les signaux des cônes : ‘Je suis une ligne’. 2ème niveau : ‘Je dessine yeux nez bouche’ 3è: ’Je suis un visage’ 4è: ’Je suis une personne connue’ 5è: ’Je joue tel rôle dans la société’, etc. Les niveaux sont arbitraires et simplifiés. Les passerelles vers d’autres agrégats de critères sont multiples, produisant une hiérarchie particulièrement complexe dans l’immense écheveau neural.

Point essentiel: chaque niveau de représentation possède une indépendance relative. Raison de l’emploi du pronom ‘Je’ dans la description précédente. Une représentation est physiquement un schéma de neurones activés. Un schéma, pas seulement un groupe. Un groupe activé inclue plusieurs schémas, correspondant à plusieurs niveaux de représentation surimposés. Par leur position dans le réseau et leurs connexions les neurones créent une profondeur d’information. Hiérarchie complexe que reproduisent les neurones artificiels des IA. Comment cette profondeur ajoute-t-elle du sens précisément ? Personne ne le comprend encore. Les réseaux complexes sont des boîtes noires. Points lumineux à l’entrée, image d’une personne à la sortie.

Pas d’homoncule pour regarder

J’attire votre attention sur un autre point essentiel : Dans le cerveau il n’existe pas d’utilisateur qui récupère le résultat de l’IA. La sortie est notre expérience consciente. L’activation des réseaux au sommet complexe suffit à créer le phénomène d’exister mentalement. Contrairement au programmateur de l’IA, le neuroscientifique observant l’excitation neurale en IRMf ne se demande pas si le cerveau est conscient ou non. Il le sait sans besoin de l’interroger. En tant que cerveau lui aussi, il expérimente la même chose.

La relation entre un schéma neural et les stimuli qu’il reçoit est à double sens. Le schéma est éveillé par les régularités qui l’ont créé. Direction stimuli > schéma, influence du réel sur la pensée. Mais le schéma s’active aussi de manière autonome, en raison d’excitations spontanées. Plus il est sollicité plus il réapparaît dans les minutes suivantes, même en l’absence des stimuli. Ou bien c’est l’activation des ensembles plus vastes auquel il appartient qui l’éveille à nouveau.

Intention et oubli

Ainsi une représentation n’existe pas seulement en présence de la réalité extérieure qui lui correspond. Elle se cherche dans la réalité extérieure. Intention d’exister. Plus elle est sollicitée plus cette intention se renforce et étend ses relations. A l’inverse elle s’efface lentement quand elle ne se trouve plus. Oubli.

Où les réseaux sont-ils localisés ? Aux premiers niveaux du traitement sensoriel, que j’appelle le “bas” du Stratium, la localisation anatomique est facile : les groupes sont concentrés autour des afférences sensitives, neurones unis par des liaisons courtes et rapides. L’image visuelle est formée instantanément. Pas besoin d’y réfléchir.

Carte des automatismes cérébraux

Cette concentration des schémas a permis aux neurologues d’établir une carte des aires cérébrales spécialisées dans les fonctions sensori-motrices. En voici une très classique :

Cette carte est fidèle pour les fonctions les plus élémentaires. Une lésion neurale localisée entraîne une paralysie à un endroit précis, un trouble du langage, un défect dans le champ visuel, etc. Il n’en est pas de même pour les fonctions supérieures.

Pas de carte pour les pensées supérieures

Les réseaux continuent à s’auto-organiser en niveaux hiérarchiques. Ils mélangent des significations simples en plus complexes, élargissant leur domaine. L’extension anatomique augmente également. Un schéma supérieur comprend des fibres entre aires éloignées. L’éveil du schéma complet est retardé. La pensée complexe, en haut du Stratium, est plus lente.

Une carte anatomique des réseaux supérieurs est donc beaucoup moins simple. C’est un écheveau précisé seulement en descendant à l’échelle du neurone. Rien à voir avec la simpliste illustration ci-dessous :

Même avec une IRMf très fine il est difficile d’isoler une “pensée”. L’IRM ne discerne pas la profondeur d’information. Une pensée prend une apparence différente selon qu’elle s’est auto-générée (excitation neurale spontanée), répond à une autre abstraction, ou est formée en réaction aux stimuli sensoriels (excitation conjointe de ces aires).

Quand une pensée est cherchée sur une IRMf, des neurones excités à grande distance du foyer principal, qui semblent parasiter l’image, peuvent avoir au contraire un rôle capital. Pensée amputée d’un contenu important s’ils ne sont pas allumés.

Vue ascendante, du collectif des stimuli

En utilisant le regard ascendant sur notre Stratium, celui de l’auto-organisation neurale, nous voyons ainsi l’action des stimuli se disperser à travers le cerveau entier, sur des réseaux de plus en plus étendus, impliquant un nombre plus faible de neurones à axones plus longs. Le regard ascendant montre l’origine neurale collective de la pensée.

Stratium’ est un terme forgé sur ‘strates’ et ‘atrium’. En voici une illustration avec un atrium en vue ascendante : espace étagé avec une multitude de bureaux/tâches peu spécialisés aux premiers niveaux, surmontés de services/fonctions plus générales, jusqu’aux réflexions conscientes moins nombreuses mais brillantes :

Vue descendante, de la fusion

Avec un regard descendant, nous comprenons que l’expérience consciente soit fusionnelle. Les neurones les plus hauts dans la hiérarchie sont intégrateurs. Ils symbolisent une pensée sophistiquée par leur position dans les schémas supérieurs. La stimulation d’un neurone unique, à cet étage, éveille l’image complète, par les connexions qu’il établit. Ainsi s’explique la théorie du neurone “grand-mère”, ainsi que le “neurone de Jennifer Aniston”, célébrité apparue dans la conscience du cobaye par stimulation d’un neurone unique.

Ces neurones très intégrateurs, quand ils sont stimulés, déclenchent une impression fusionnelle. À l’inverse, si vous stimulez un neurone visuel de 1er rang, vous déclenchez seulement un point blanc, quasi invisible, dans le champ visuel du cobaye.

Illustration du Stratium, vue descendante : l’observateur, fusionné en haut, contemple les minuscules éléments qui forment ses impressions, dont il perçoit les détails s’il concentre son attention :

Hiérarchie de réseaux, pas de neurones

Attention, la hiérarchie concerne les réseaux symboliques et non les neurones individuels. Un neurone peut appartenir à plusieurs réseaux éloignés dans la hiérarchie. Il est relai du réseau inférieur dans le supérieur et vice versa. Dès le 2ème rang le poids symbolique des neurones commence à diverger. Ils sont excités conjointement mais l’un compte pour l’activation d’un schéma supérieur et l’autre non.

Les neuroscientifiques identifient ainsi des neurones visuels répondant à des visages particuliers. Ils ne sont pas situés au même endroit que les ‘Jennifer Aniston’ (lobe temporal médian). Deux extrémités distantes d’un seul schéma symbolique. Les études citées confirment l’écart hiérarchique. Les neurones visuels répondent à tous les visages, quelle que soit la personne. Ils le font rapidement (150ms), étant à proximité des neurones de 1er rang. Tandis que les neurones ‘Jennifer Aniston’ répondent plus tardivement (300ms) mais en intégrant davantage de critères (identification de la personne).

Un paradigme à redresser

Coincés dans le paradigme horizontal du mental (vaste système neural unique) encore en vogue, les neuroscientifiques se disputent la prééminence de tel ou tel noyau de neurones dans une fonction supérieure. Dans le paradigme hiérarchique du Stratium, tous les neurones du schéma doivent être activés pour qu’ils éveillent la représentation complète, quelle que soit leur position dans le cerveau.

Ainsi l’activation isolée des neurones visuels produit un visage impersonnel. L’activation conjointe des neurones ‘Jennifer Aniston’ surimpose la personne. Si le neurone ‘Jennifer Aniston’ est excité sans participation des neurones visuels, vous avez le nom de l’actrice mais pas son visage. Je simplifie, car il s’agit de contenus au milieu d’une impression fusionnée. Le cobaye ne sent la différence qu’en examinant les détails de sa pensée ‘Jennifer Aniston’.

Et le phénomène conscience?

À ce stade de mon explication, Stratium est une théorie de la profondeur d’information expliquant la complexité des impressions mentales. Proche de la Théorie de l’Information Intégrée (TII) de Giulio Tononi, qui fait de cette profondeur le paramètre de la conscience (Phi). Mais la conscience n’est pas encore expliquée en tant que phénomène éprouvé.

L’autre grande théorie scientifique de la conscience, l’Espace de Travail Global (ETG) de Stanislas Dehaene, ne fait pas mieux. Elle fonde la conscience sur les réentrées de stimulations entre parties d’un même espace neural, qui s’observeraient ainsi entre elles. Mais de telles interactions s’observent entre bien d’autres aires neurales sans qu’elles génèrent de conscience. Rien n’explique la qualité particulière de ce phénomène.

Vous lirez donc avec intérêt la suite, à présent que vous êtes en possession des bases physiques 🙂 Comment Stratium explique-t-il le phénomène conscience ?

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Synthèse CONSCIENCE
Présentation plus récente de Stratium pour les philosophes et neuroscientifiques professionnels

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