Pourquoi l’écologie flirte entre science et secte

Qu’est-ce que la Nature?

Deux manières de voir la Nature: la sienne et la nôtre. Chez les écologistes militants cette manière est un idéalisme anthropomorphique plutôt que la Nature en soi. Gaïa est autant “Mère Nature” que le Dieu à grande barbe blanche assis sur son nuage est “Père de Tous les Hommes”. Et pas tellement des femmes, en passant. Ces visions sont des religions de la Nature et du Dieu Unique.

Dès lors il n’est pas surprenant que l’écologisme ait l’allure d’une secte aux idées bornées. Le reste de la société ne s’y est pas trompée et n’a jamais attaché grande importance à un militantisme qui se déclare pourtant vital, puisqu’il s’agit de garder hospitalier notre écosystème.

La science aux côtés de la Nature?

Les scientifiques eux-mêmes n’ont guère adoubé la plupart des luttes militantes —j’indiquerai à la fin pourquoi. Leur engagement franc est récent, à propos d’un sujet on ne peut plus global : le réchauffement planétaire, qui menace l’écosystème entier et non plus quelques espèces qui l’habitent.

Pourquoi ce décalage entre écologies scientifique et mystique ? N’ont-elles pas le même objectif: la sauvegarde de la Nature ? Mais justement, de quelle Nature parle-t-on ? Scientifiques et écologistes symbolisent-ils la même chose dans ce terme ?

Certes la science n’est pas étrangère à une certaine forme d’idéalisme. Ses “lois fondamentales” semblent des idéaux immuables, d’essence aussi divine que les intentions d’un Dieu créateur. Mais la science passe par des révolutions, qui bouleversent ces idéaux quand nécessaire. De cette manière elle rend au réel la direction de son identité fondamentale, au lieu de lui en imposer une fortement anthropomorphique, celle de notre désir, le désir de notre génération qui plus est.

La Nature photographiée avec un Instamatic

Car l’icône de Mère Nature adorée par les écologistes est celle apprise par une génération. C’est la photographie d’un instant de sa très longue vie, houleuse depuis des millions d’années. Si des écologistes avaient vécu au Mésozoïque, ils se seraient scandalisés que l’on tue un tyrannosaure parce qu’il a dévoré des humains. Équivalent aujourd’hui : des écologistes calédoniens protestent parce qu’on a éliminé du lagon des requins qui ont dévoré une baigneuse et son chien. Il faut maintenir la photographie pure et intacte. Toutes les espèces y figurant doivent y rester.

La Nature, telle qu’elle se voit, ou du moins telle que la science la dessine en la laissant tenir le crayon, n’a rien à voir avec cette mystique. Elle est une organisation perpétuelle, depuis quelques molécules complexes formées sur la roche et dans les eaux, jusqu’à la diversité de l’écosystème actuel, qui fut bien plus importante encore à certaines époques. La diversité extrême n’est pas un idéal de la Nature. C’est seulement un état qu’elle rencontre dans ses explorations.

Écologisme minéral alternatif

Quel aurait été l’idéal écologiste à l’aube de la Terre ? Militer contre la souillure du bel éclat de la roche par des moisissures. Ces premiers organismes ont proliféré, leurs cadavres se sont empilés, recouvrant la plupart des surfaces émergées d’un humus puant. La planète s’est enveloppée d’une couche de pourriture. Une gigantesque poubelle ! Un Ensemble pour La Planète minéral aurait demandé que l’on passe le karcher… puis recouvrir les continents d’une belle couche de plastique pour éviter le retour de l’infection.

Aujourd’hui ce sont les fumées minérales qui puent, la merde organique sent bon. Autre époque, autre idéal… tout cela est dans l’humain et non dans la Nature. Non que le désir humain soit à exclure, bien entendu. L’imposture écologiste vient qu’il soit travesti en désir de la Nature en soi et non clairement exprimé : « J’ai envie que la Nature soit ainsi, reste ainsi ». Pourquoi pas ? Néanmoins la vie sociale est prendre en compte tous les désirs, pas seulement ceux faisant de la Nature leur jardin privé.

La diversité… de nos désirs

D’autres y vivent. Le paysan qui défriche la forêt veut un champ pour se nourrir. Le citadin qui entre au supermarché veut remplir son caddie. Le geek qui lorgne sur la dernière merveille technologique veut les moyens de se l’offrir. Les grands organismes sociaux, économiques, politiques, affairistes, brocardés par les écologistes, ne sont que les organisations de nos désirs. Si nous abandonnions ceux-ci, si nous ne consommions plus rien, ces organismes perdraient tout pouvoir.

Tout pouvoir de nuisance, pour un militant. Tout pouvoir d’aisance, pour ceux qui n’ont rien. Ces organismes ne profiteraient qu’aux riches ? Stupide. Ils sont surtout la seule manière pour les pauvres de survivre. Là où le pouvoir de ces organismes est le plus faible, les gens meurent davantage. Mais ne dévions pas sur le terrain politique. Certes l’écologie a des relations étroites avec la politique. La gestion écologique n’est cependant qu’un aspect de la gestion sociale. Son objet reste limité à : comment organiser au mieux l’écosystème pour satisfaire les désirs du plus grand nombre, sans menacer sa survie en tant qu’entité globale.

La vie est un déroulement, pas un instantané

Je viens de parler de gestion. Voilà quel est le regard humain sur la Nature. La Nature est. Son être est changeant. Dépourvu d’émotion, de morale. Elle explore ses possibilités. Processus immuable qui passe par des stabilités. Les espèces s’allument ou s’éteignent. La diversité augmente ou s’appauvrit. La Nature n’a aucun idéal à propos d’elle-même. Seul l’humain en a un. Quel devrait-il être ? Celui d’un humain, d’un groupe d’humains, du collectif aveugle, d’une hiérarchie du collectif où les groupes d’humains les mieux informés occupent des postes décisionnaires plus importants ?

L’écologie militante des décennies passées est un groupisme sectaire. Comme les congrégations qui choisissent ici et là des notions scientifiques pour en faire des démonstrations de l’existence de Dieu, les écologistes ont sélectionné des interprétations scientifiques pour démontrer leur idéal de la Nature. Ce n’est ni Dieu ni la Nature qui sont démontrés ainsi, seulement l’idée que les militants en ont. Beaucoup de données sont éliminées; l’image est rétrécie, Dieu et Nature étriqués. Insincérité de ces représentations, de ce qui est censé être mystérieux et inaccessible, en fait des cadavres épinglés dans un cadre et devant lesquels les militants s’exclament : « Regardez comme c’est vivant ! » La Nature, si elle pouvait parler, ne se reconnaîtrait certainement pas dans un tel instantané, elle qui a pris tant de visages…

Des menaces amplifiées par la secte

L’écologie sectaire a rebuté longtemps la majorité de la population et des scientifiques, en critiquant l’organisation sociale et s’isolant ainsi de son fonctionnement. Elle a inhibé plutôt que favorisé la diffusion des mèmes écologistes. Le prosélytisme aveugle n’a jamais été populaire. Il faut des groupes armés et violents pour l’imposer. La violence n’est d’ailleurs pas étrangère à ce méchant aspect de l’écologie.

Le réductionnisme de la secte est responsable de la crise énergétique actuelle et en partie de la plus importante menace nucléaire depuis des décennies. Menace bien plus critique que celle d’une quelconque explosion de centrale existante. En effet la dépendance européenne au gaz russe a été un soutien majeur aux idées expansionnistes de Poutine. Certainement n’aurait-il pas envahi l’Ukraine voisine d’une Europe indépendante énergétiquement et dépourvue de raison de faire les yeux doux à un fournisseur important. Le militantisme anti-nucléaire, fondé sur l’idéal d’une Terre dépourvue du moindre déchet radio-actif, nous a mis au seuil d’une guerre qui pourrait rendre Gaïa entièrement radioactive !

Combien d’adolescents regardent des documentaires animaliers?

Aïe j’ai rebasculé dans la politique. Très brièvement. Certes il existait d’autres manières de gérer nos politiques énergétique et étrangère. Mon propos est ici de montrer qu’il est stupide de militer pour un idéal indépendamment des autres. Tous les désirs de l’humanité doivent être organisés ensemble. Gaïa n’est pas une entité divine. Elle est l’émanation de nos désirs multiformes à son sujet. Ce qui est supérieur à nous est l’organisation que nous pouvons concevoir à son sujet, qui satisfasse le plus grand nombre.

Cette organisation est bien une entité autonome que nous pouvons appeler Gaïa si cela nous chante, car elle doit garder une certaine stabilité indépendamment de nos désirs particuliers. Mais Gaïa n’a pas de visage prédestiné. Les dinosaures seraient horrifiés par cette Terre peuplée de mammifères. Et nos descendants seront probablement horrifiés par le “retour à la Nature” que préconisent les écologistes aujourd’hui. Ils sont déjà là en fait. La plupart des jeunes kanaks qui vivent en tribu, au sein d’une Nature merveilleusement préservée, ne rêvent que d’aller à la ville…

L’échec du regard unique

Les habitués de ce blog auront compris que l’échec du militantisme écologique est l’échec du regard unique. Ici le regard unique est le descendant, celui de l’idéal Gaïa sanctuarisé contemplant l’écosystème. L’autre regard, l’ascendant, utilisé par la science, révèle la Nature comme un processus. Son déroulement rencontre toujours des stabilités dans de nouveaux contextes. La Nature n’a pas besoin de nous. Pas bon non plus d’en faire un regard unique rival du précédent.

La gestion de l’écosystème nécessite donc un double regard. 1) L’ascendant de la science, qui étudie le processus naturel, dépourvu de but en soi et en particulier de moralité. 2) Le descendant des intentions humaines —survie, confort, multiplication, civilisation—, qui influence le cours de la Nature vers ces objectifs.

Au centre, détesté par les regards uniques

L’écologie in extenso est une conjonction de ces deux regards. Je n’aurais pas voulu être à la place de ces scientifiques auxquels on a demandé de choisir : appartenir à la secte militante ou en être adversaire, parce qu’ils ne voulaient pas donner les interprétations désirées.

En effet lorsque vous utilisez le double regard, à propos de n’importe quel sujet bipolarisé, chaque utilisateur d’un regard radicalisé vous considère comme appartenant à l’autre. Peut-être un jour nous autres “coïncideurs”, qui manipulons la double approche, serons-nous assez nombreux pour devenir coïn-décideurs ! Et Gaïa ne s’en portera que mieux.

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