Temps polychrone et monochrone

Expat

Un occidental qui déménage dans les îles tropicales —oui, c’est vécu— découvre une gestion du temps fort éloignée également de la sienne. Il ne s’agit pas d’un folklore qui prend la place du précédent mais d’un abord radicalement différent des affaires quotidiennes. L’occidental séquence ses tâches. Il porte principalement son attention sur l’une d’entre elles et les autres passent à l’arrière-plan. Le coach occidental a matérialisé ce fonctionnement sous forme de tableau Kanban, un outil multicolonne où les tâches sont déplacées de ‘à faire’ vers ‘en cours’ puis ‘en révision’ et enfin ‘terminée’. Petit train qu’il ne faut pas trop bonder. Il est possible de placer plusieurs tâches dans le wagon ‘en cours’, mais c’est vous qui en décidez, selon vos capacités à gérer l’afflux des demandes. Vous ne laissez pas votre environnement la remplir impunément ou la qualité de votre travail finit par s’effondrer, constatez-vous.

Ce temps séquentiel de l’occidental est dit monochrone. Attention focalisée sur la tâche élue mentalement comme prioritaire. Au contraire, le temps de l’îlien est polychrone. Lorsque l’occidental tente de concentrer la discussion sur un sujet, lui en traite plusieurs à la fois. Il délaie sa réponse, passe à autre chose sans conclure, prend des appels téléphoniques sans rapport avec la conversation, participe à plusieurs en même temps. L’occidental y voit un manque d’intérêt pour le sujet principal ou une impolitesse. Mais ce n’est que l’expression d’un fil de pensée multiplié, sans que le cerveau de l’îlien soit différent : il ne possède pas plusieurs “processeurs” mentaux travaillant en parallèle. Son attention se concentre sur une tâche à la fois, comme l’occidental, mais sautille facilement d’un sujet à l’autre, reprenant chacun là où il était arrêté auparavant.

Derrière l’alibi du fossé culturel

D’où vient cette différence, si les architectures mentales sont les mêmes ? Qu’est-ce qui se cache en pratique dans l’alibi du “fossé culturel” ? Le moteur de l’ UniPhiM, la méthode universelle utilisée sur ce blog, est le principe TD (tout/partie, soliTaire/soliDaire), fort précieux pour résoudre ce genre d’énigmes. L’explication réside ici dans le communautarisme plus marqué de l’îlien. La solidarité a toujours été un élément prépondérant de la survie dans ces milieux isolés, aux possibilités d’échange limitées. Ne pouvant recevoir de soutien extérieur, le collectif prime sur l’individu. Le D îlien est plus fort que le T. C’est l’inverse chez l’occidental. Les individualités exacerbées font le bonheur et le malheur des communautés, mais dans le second cas l’exil hors du groupe est possible. L’individualisme est moins réprimé.

L’occidental expatrié apprend vite que si lui s’estime entièrement responsable de ses paroles et actes (T fort), ce n’est pas le cas de ses interlocuteurs îliens, qui parlent en tant que partie du groupe et non en tant qu’indépendance (D fort), avec une responsabilité diluée que l’occidental taxe trop vite d’irresponsabilité. Il juge avec ses normes de soliTaire, inadaptées au soliDaire.

Des fils de pensée concurrentiels ou solidaires?

Quel rapport avec la gestion mentale du temps ? Le même principe s’applique aux fils de pensée concurrents dans la conscience. L’îlien n’en considère aucun comme supérieur aux autres, sauf de manière très temporaire. Tous ces fils sont solidairement le Moi. Toute discussion focalisée reste une partie de l’univers mental, sans pouvoir Totalitaire. Les autres sujets peuvent frapper à la porte de l’attention quand ils veulent ; ils seront écoutés.

L’occidental, entraîné à la technicité et l’hyperspécialisation, considère que la concentration sur un sujet le rend plus performant. Toutes les ressources mentales sont aspirées par ce sujet. Il a raison dans l’instant. Pas forcément dans la durée, car les décisions mûrissent moins longtemps. Les contraintes de compétition et de productivité ne sont pas identiques dans les deux cultures. L’Occident est une foule de T(s) en concurrence perpétuelle, notés à court terme, ayant du légiférer pour éviter la dégradation du D (redistribution sociale obligatoire), tandis que les Îles sont avant tout des esprits communautaires, avec une conscience collective réfrénant la compétition individuelle.

Le temps qui passe et le temps qu’il fait

Bien sûr la taille des groupes humains et leur isolement ne sont pas les seuls critères influençant le réglage mental TD et la gestion psychologique du temps. La facilité à se procurer des ressources vitales, et donc indirectement le climat, sont d’autres critères essentiels. Ce n’est pas un hasard s’il existe une certaine homogénéité culturelle en fonction de la latitude. Le temps éprouvé trouve ainsi sa communion de langage avec le temps atmosphérique, avec un battement corrélé à la force des écarts saisonniers. Le temps passe plus vite dans les hautes latitudes rythmées par des hivers rigoureux, qu’à l’Équateur et son perpétuel été. La vie individuelle est brève dans les premières, mélangée à l’éternité des ancêtres sur le second.

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