La représentation, en politique et ailleurs

Abstract: Pourquoi représentant et représentés sont deux acteurs différents, et pourquoi ils en créent un troisième… Se faire représenter est-ce voter pour celui qui aligne les mensonges pour nous plaire ? Est-ce ainsi que l’on construit la fusion avec son élu que j’appelle le troisième larron ? Devenir ensuite son propre représentant, ce n’est pas clamer la même exigence avec une prétention renforcée, c’est intégrer la compromission à son exigence, effectuer le travail d’organisation avec les demandes contradictoires.

Représenter, c’est plus que reproduire

Politicien et électeurs, délégué et commettants, la représentation est souvent traitée comme une image en miroir. La scène ne ferait « que représenter » ce qui est déjà dans la salle. C’est faire outrage à la fécondité cachée dans la représentation. Loin d’une simple reproduction, c’est un acte de séparation, entre les composants et le tout. Un observateur tiers confond les deux. Il n’est pas inclus dans cette relation et n’éprouve pas les modifications qui en découlent. Les changements lui sont d’ailleurs incompréhensibles s’il assimile le représentant aux représentés.

C’est le reproche à faire à Hobbes, cité par Denis Maillard comme le premier philosophe ayant montré le souverain comme jouant une pièce… dont le peuple est le véritable acteur. Les marionnettes couronnées n’auraient-elle pas marqué profondément l’histoire ? À l’évidence il existe deux acteurs indépendants, représentant et représentés, unis par une relation intime et complexe. Chacun des sens de la relation, isolément, est une dictature : celle du souverain sur le peuple, et l’inverse. Conflictuelles par essence, que forment-elles ensemble ?

Un miroir n’est pas passif

L’image dans le miroir n’est pas, déjà, une reproduction. Pas si c’est l’observateur qui se regarde. Le miroir ne pense pas, c’est un fait. Mais il est une représentation parmi d’autres dans la réalité de l’observateur. Incluse dans le tumultueux processus de pensée. Loin d’être passive. Ce type, dans le miroir, c’est moi. Que fait-il là, en dehors de moi ? S’il est en dehors, c’est un autre. Un dialogue s’engage. Un troisième se crée : ce qui surgit de la relation entre les deux moi(s).

Le miroir ne pense pas mais je pense à sa place, et il n’a pas d’autre place dans ma réalité. Il est bien acteur de ma scène mentale.

Le troisième apparaît en raison de l’existence d’un contexte plus général à la relation entre les deux moi(s). Il est lui-même élément d’une nouvelle relation, avec des éléments similaires, dans ce contexte. Le niveau de réalité est différent du précédent. Ces niveaux sont intriqués mais leur logique est indépendante.

Les électeurs, le politicien, et le troisième

Maintenant nous pouvons comprendre ce qui se passe en politique, pourquoi représentant et représentés sont deux acteurs différents, et pourquoi ils en créent un troisième.

À première vue l’efficacité du politicien est sa capacité à incarner les désirs de ses électeurs et à les projeter dans le futur. C’est ce que souligne Denis Maillard, avec son triptyque vision-incarnation-narration. Mais il manque quelque chose. Avec cette seule approche, un candidat devrait faire le même score à chaque tour d’une élection. Ce n’est pas le cas. Il recrute auprès d’électeurs qu’il n’incarne pas aussi bien, voire pas du tout. Comment fait-il ? Comment, en même temps, ne pas s’écarter trop de sa position initiale ? Ce jeu subtil n’est pas contenu dans l’échange représentant-représentés. Il se situe clairement à un autre étage, celui du troisième évoqué à l’instant. Dans le contexte de plusieurs politiciens concurrents, il ne suffit pas d’incarner un désir. Surtout ne pas incarner une peur. Ne pas déplaire, autant que plaire.

Dans la phase finale d’une élection ce sont les indécis et les modérés qui font la différence. Ils n’ont pas de représentant dédié. La plupart des candidats sont trop brutaux dans leur volonté de plaire. Ils en deviennent inquiétants. Le radical se maintient rarement au pouvoir. Celui qui adoucit ses bordures l’emporte. Porteur d’un idéal aveuglant il distribue des verres filtrants à chaque spectateur.

La nécessité d’une centralisation

Les médias centralisés (chaînes de TV majeures, grands journaux) font mal aux radicaux. Impossible d’y annoncer tout et son contraire. Tandis que les réseaux sociaux l’autorisent facilement. Vous pouvez déposer dans chacun un discours aux couleurs locales. Peu importe qu’ils soient contradictoires. Les internautes sortent de plus en plus rarement de leurs réseaux. J’en viens à dire que la télécratie, ironiquement, est peut-être la sauvegarde de la démocratie après avoir été accusée de la démolir. Nous pouvons soupçonner les réseaux, en parallèle, d’être à l’origine de la multiplication des candidats radicaux, nationalistes en particulier, alors que l’humanité ne s’est jamais si bien portée.

Nous sommes bien loin de Hobbes et de son ‘Leviathan’ simplificateur. Le souverain ne joue pas sur scène la pièce dont le peuple serait le véritable acteur. Il lui-même auteur, parce qu’il appartient à un monde de souverains. Les compromissions lui font renvoyer des messages tronqués au peuple. ‘Mensonges’, pour le peuple; ‘réalité adaptée’, pour le souverain. Les mondes sont différents, ont chacun leur logique. Le monde du peuple est devenu terriblement plus chaotique, toute hiérarchie de vérité s’effaçant, ce qui donne libre cours à la sienne.

La vraie démocratie participative

L’élu est bien le dossier psychanalytique des électeurs. Utile aux observateurs extérieurs. Mais aux électeurs également : ils peuvent le consulter. Commencer cet examen dans le miroir qui est un dialogue. Se hausser au niveau de réalité supérieur.

La démocratie participative est cela : s’évader du niveau constitutif pur du désir, lui adjoindre le niveau représentatif. Devenir son propre représentant. Ce qui n’est pas clamer la même exigence avec une prétention renforcée. C’est intégrer la compromission à son exigence, effectuer le travail d’organisation avec les autres demandes, se voir dans le collectif et devenir un représentant concurrent, riche de ses nouvelles solutions et pas seulement de ses prétentions, ses réclamations.

Au moment de choisir

Si vous n’avez pas réussi à devenir candidat à l’élection présidentielle, peut-être est-ce cela qui guidera votre choix. Qui, parmi les noms proposés, est capable de se hisser au-dessus de ses prétentions, examiner ses propres solutions, reconnaître ses erreurs (pas celles que vous voyez, celles qu’il voit, lui) et corriger le tir ?

Aucun ne correspond vraiment, confortant l’idée que la politique est un sale métier. Le critère suivant est : celui de la bouche duquel j’ai entendu le moins de mensonges. Là c’est facile. Ils sont tellement nombreux à les multiplier pour nous plaire…

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Synthèse hiérarchie

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