Pensée descendante et ascendante: quelles différences?

Des vues étrangères sur la vie

« La vie oscille comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui : ce sont là les deux éléments dont elle est faite ». Cette description de la vie par Schopenhauer n’est certainement pas celle qu’en ferait un biologiste. Ni celle d’une personne ordinaire et plutôt satisfaite de la vie, à l’encontre de l’esprit névrosé et coléreux de Schopenhauer. Que sont donc ces différentes ‘vie(s)’ aux définitions si contrastées ? Vous devinez avec moi que plusieurs biologistes se mettront aisément d’accord pour une définition commune, tandis que Schopenhauer ne rassemblera que des aigris, en compétition avec une foule d’autres interprétations de la vie, dans lesquelles jamais vous et moi ne reconnaîtrons parfaitement les nôtres.

Uniformité et pluralité, deux manières contradictoires de définir la vie. A qui faire confiance ? Aux biologistes réunis, à Schopenhauer, à soi-même ?

Soi et non-soi

Le double regard est fondé sur la séparation soi / non-soi. 2 pôles de représentation mentale, pôles Esprit et Réel. Le structuralisme de la science nous a habitués à voir l’origine de l’esprit dans le réel. La relation entre pôles Esprit et Réel devient une hiérarchie causale. Réel à la base, esprit résultat. La réticence reste grande face à la science. Beaucoup continuent d’utiliser la hiérarchie inverse : esprit placé à l’origine de tout, réel créé par lui. Dans cette catégorie il faut séparer 1) le mysticisme: divinise l’esprit créateur et en fait l’origine concrète du réel, 2) la phénoménologie: l’esprit représente le réel, qui est par essence indépendant et inaccessible. Nous dirons: réel en soi.

La philosophie ne dénigre pas la pertinence de la science. Elle héberge ainsi en son sein, parmi de multiples incompatibilités, la plus fondamentale : le courant matérialiste affirme que le réel forme entièrement l’esprit, le courant phénoménologique affirme que l’esprit  forme sa réalité, mais personne ne sait démontrer comment il le fait de manière indépendante. Équivalent en philo de l’incompatibilité théorie quantique / relativité générale en physique ?

Des causalités différentes, non équivalentes

Surimposium tente une telle démonstration. Mais nul besoin de le lire et le croire pour adopter le double regard, démarche plus simple : elle reconnaît une causalité à chaque direction, réel vers esprit et inversement, sans les rendre équivalentes. ‘Réel > Esprit’ est causal, ‘Esprit > Réel’ est rétrocausal. Science et phénoménologie sont satisfaites. Aucune n’est réduite à l’autre. Comment la causalité forme-t-elle une rétrocausalité reste un problème en suspens au stade du double regard. Mais déjà, vous êtes outillé pour lire n’importe quel ouvrage avec une acuité nouvelle.

En gardant la primauté scientifique du réel dans sa relation avec l’esprit, les deux directions deviennent 1) ascendante (ou ontologique), de la base réel vers le résultat esprit, 2) descendante (ou téléologique), de l’esprit indépendant vers la base.

En gardant le caractère phénoménologique de cette relation (le réel en soi n’est pas accessible), ces directions vont en fait du pôle Réel vers Esprit et vice versa. Les représentations mentales simulent la véritable relation. L’acteur ‘pôle Réel’ n’est qu’un double.

Pensée ascendante uniforme et descendante multiforme

Voici installées nos pensées descendante (pôle Esprit vers Réel) et ascendante (l’inverse). Comme les directions ne sont pas équivalentes, les propriétés des deux pensées diffèrent. Les esprits s’accordent en effet à dire qu’ils évoluent dans le même réel en soi. L’un des acteurs est unique. L’autre est spécifique à chaque individu. Si nos esprits parvenaient à un consensus parfait sur la nature du réel (pôle Réel similaire dans tous les esprits), la pensée ascendante serait uniforme, à l’image de l’acteur dont elle émane. C’est ce que la science s’efforce d’obtenir. Elle harmonise les pôles Réel jusqu’à en faire un noyau solide et reproductible chez les scientifiques.

Au contraire la pensée descendante est par définition multiforme, à l’image des pôles Esprit dont elle émane. Fondée largement sur des mimétismes, elle opère néanmoins des regroupements. Ce sont les courants philosophiques mais aussi religieux, animistes, magiques, tout ce que peut inventer l’esprit à propos du réel. Différence capitale entre ces groupismes et celui des scientifiques : la science interroge le réel en soi et vérifie son comportement par l’expérience. Le pôle Réel scientifique est ainsi le seul masque tangible du réel en soi. Les autres groupismes créent des pôles Réel alternatifs, fragiles, ignorant les évènements incompatibles. En pratique nous empruntons tous à la science dans quelques domaines et à des croyances moins fondées dans la plupart des affaires courantes. Le pôle Réel reste ainsi un assemblage très personnel, très éloigné de l’idéal scientifique même chez les plus obsessionnels d’entre nous. Impossible de faire mieux. La science reste vague sur les affaires humaines.

Unifiez votre pensée ascendante

L’intérêt pour vous est celui-ci : un effort est à faire pour rendre scientifique notre pensée ascendante, c’est-à-dire partir du pôle Réel le plus consensuel en science. Conformisme ? Au contraire, en augmentant la fidélité de votre pôle Réel à la réalité en soi, vous lui garantissez son indépendance. Il n’est plus simple image de vos désirs. Acteur émancipé de vos croyances, il élargit la scène de votre esprit. Distanciation désormais nette entre soi et non-soi, qui étend l’envergure mentale sur le monde. Le contraste augmente dans une réalité intérieure qui reste entièrement votre propriété. Tandis que les croyants rejettent tout ce qui contredit leurs désirs et rétrécissent ainsi leur monde personnel.

Par contre ne tombez pas dans le piège du scientifique éliminativiste. Celui-ci cantonne sa pensée à cette direction ascendante. Pour lui l’esprit est simple épiphénomène, ne peut donc exercer la moindre causalité. Pas de place pour la pensée descendante. Les idées sont de simples bulles à la surface de l’esprit, sans effet sur l’origine du bouillonnement, croit l’éliminativiste. Amputé comme lui d’une direction du regard, vous êtes aussi demi-aveugle que le théiste persuadé que la matière est une création de l’esprit.

Diversifiez votre pensée descendante

La pensée descendante est aussi personnelle que l’ascendante est impersonnelle. Ici l’anticonformisme trouve sa pleine expression. Il participe à la distanciation en étirant côté pôle Esprit l’écart avec le Réel. Il entoure le réel d’une multitude de postes d’observation. Nuage d’approximations, mais ce sont elles qui permettent de cerner l’inaccessible réel en soi au milieu du nuage. Indétermination spirituelle rappelant la quantique : quand l’esprit mesure précisément une caractéristique du réel en soi les autres sont plus floues et il n’accède jamais à la détermination complète. Néanmoins la représentation est meilleure avec 20 critères mesurés tour à tour qu’avec 2. L’imagination multiplie les solutions possibles. La richesse de la pensée descendante est de toutes les tester comme point de départ. Même un religieux aurait un regard descendant plus efficace sur le réel en multipliant les théologies dont il dispose, plutôt que se cantonner à une seule.

Il devient passionnant d’utiliser les rancoeurs de Schopenhauer comme observatoire sur la vie. Ou la névrose oedipienne de Freud. Ou la volonté de puissance Nietzschéenne. Mais vous savez à présent qu’il s’agit d’un faisceau de regards descendants propriétés de ces illustres penseurs, et non de la vie en soi. La vie en soi est plus précisément décrite par le discours uniforme des biologistes. Description ascendante, qui croise tous ces regards descendants originaux jusqu’à la fantaisie pure.

Lorsque ascendance et descendance se rencontrent et coïncident sur une chose, peut-être avons-nous accroché un authentique niveau de réalité de la vie ?

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Synthèse hiérarchie

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