Quand les femmes se chargent de l’histoire du couple

Abstract: Sexe génétique et genre culturel ne sont pas concurrents dans l’étude de nos comportements, sauf quand un a priori culturel cherche à manipuler les études. Un exemple avec Ellie Anderson, une philosophe américaine militante du genre, qui voit la femme toujours seule à faire du nettoyage, celle de l’histoire du couple cette fois…

Du genre qui milite, du genre qui limite

L’histoire du couple est genrée, c’est une certitude. Même dans les couples homosexuels. Remarque que j’aurais faite à Ellie Anderson, une jeune philosophe américaine qui vient de publier un article sur le sujet. Elle affirme que la femme est plus compétente en tant qu’historienne du couple, pour caractériser et interpréter cette relation spécifique. Intuitivement nous lui donnons raison : la femme est plus sensible aux détails de la vie du couple. Mais Anderson s’empare de cette donnée avec un militantisme du genre : elle veut en faire un effet de la culture. C’est incitée par son éducation genrée que la femme s’occuperait de cette tâche.

Elle souffre de cette charge ! s’insurge Anderson, qui la considère comme une exploitation harassante. La relation ne peut fonctionner sans ce travail d’investissement, dont l’homme profiterait sans y prendre part. Le voici installé confortablement, comme d’habitude les orteils en éventail, à écouter le récit de son couple entièrement mis en scène par sa compagne…

Le genre est parti pour une guerre de Cent Ans

Comme le racisme que j’ai traité récemment, le genre n’est plus un concept mais une bataille. Armement, contre-mesures, le genre recrute dans nos acquis et l’anti-genre dans l’inné. Dialectique mais aussi science sont impliquées dans cette course à l’armement. À quelle science a-t-on recours ? Celle qui modélise les données ou celle qui interprète le modèle ? Science de la vérité ou du doute ?

Certains répètent à l’envie que la vraie science est celle qui fait douter, ouvrant la porte à leurs contestations. Or justement les interprétations ne sont pas la vraie science. Celle-ci se contente de fournir un modèle aux données et vérifier si elles s’y conforment. La science prête son regard ontologique au monde physique. Le monde peut dire sa vérité. Rien à voir avec la nôtre, celle nous voudrions lui voir dire, par exemple qu’il n’a pas de sexe social et que seule notre culture en a construit un, rebaptisé ‘genre’.

Le travail herméneutique…

Que la femme se souvienne mieux des débuts de l’histoire du couple est-il un effet de son éducation ou d’un meilleur collectivisme intrinsèque ? A-t-elle pour “mission” de tenir un tel rôle de par son éducation genrée ? C’est l’avis péremptoire d’Anderson, qui commence par détailler ce qu’est le ‘travail herméneutique’, processus d’interprétation de soi et de la relation aux autres :

Elle voit 3 dimensions à ce travail : 1) Comprendre ses propres sentiments, désirs et mobiles, et les présenter de manière intelligible aux autres. 2) Discerner ceux des autres en interprétant leurs signaux verbaux et non verbaux, y compris lorsque ceux-ci sont peu communicatifs ou franchement évasifs. 3) Comparer et opposer ces ensembles à des fins de résolution des conflits, en les intégrant dans une histoire commune.

…est pesant

Anderson reconnaît que le travail d’auto-organisation du soi est universel mais il serait « généralement pas attendu des hommes, du moins pas dans des proportions importantes » Par conséquent « le travail herméneutique pèse de manière disproportionnée sur les femmes », « notamment dans les relations intimes ».

Toute à ses préoccupations téléologiques sur le genre, Anderson souhaite le réduire à une affaire purement culturelle. Elle en ignore donc volontairement l’ontologie —que la préoccupation des autres soit un instinct avant sa mise en forme culturelle, et qu’il soit sexué. Parti-pris évident dans la querelle nature-culture qui va emmener la jeune Ellie à ses conclusions tronquées.

Deux trains d’études se percutent! Décès du bon sens!

Wokisme de genre et ontologie du sexe se télescopent bruyamment. Les études sociales du genre cherchent à minimiser les différences entre les sexes tandis que les études médicales veulent au contraire sensibiliser à ces différences. La femme aurait une physiologie différente, impérative à prendre en compte dans les traitements biologiques, mais ces différences seraient devenues invisibles en arrivant au comportement social. Voici le cerveau bien isolé dans sa boîte crânienne. Les méninges prennent l’allure d’une barrière culturelle.

Tentons de rendre l’affaire plus simple en repartant de l’ontologie et d’une théorie de l’esprit, Stratium, qui explore cette direction. Elle fait de notre personnalité une assemblée de représentations mentales, qui négocient notre comportement selon un principe de célébrité davantage que de rationalité. Certaines représentations peuvent avoir naturellement une célébrité plus forte, par exemple les images des congénères plus présentes chez la femme pour des raisons évolutionnaires —l’asymétrie du rôle dans la reproduction. Nous verrons plus loin comment cette différence peut s’implanter très facilement dans les réseaux neuraux.

Sensibilité et analyse

L’espace conscient est celui où se tissent nos représentations supérieures. Celles concernant les proches font l’objet d’une organisation plus fine chez la femme. Travail omniprésent, mais il n’est pas forcément professionnalisé, analysé avec des modèles psychologiques justes. Les histoires construites peuvent être aussi détaillées que fondamentalement erronées. L’homme est moins attentif aux détails de la vie sociale. Effectivement moins capable de se rappeler l’histoire entière du couple. En contrepartie de cette moindre omniprésence de l’environnement dans sa conscience, il se focalise plus complètement sur un sujet quand c’est nécessaire. S’il a compensé sa faible sensibilité naturelle au sujet par une éducation à son analyse, il aboutit rapidement à la bonne interprétation, voire redresse un diagnostic erroné. Sans éducation, il ouvre de grands yeux ou se bute, s’éprouvant en terrain mouvant et n’osant avouer son incompétence.

Le travail de recueil des signaux sociaux est comme le travail physique. Il existe une prédisposition génétique à cette compétence, mais la “musculation relationnelle” peut augmenter l’aptitude masculine au-dessus de la moyenne des femmes comme la musculation physique peut augmenter celle des femmes au-dessus de la moyenne des hommes.

Moins d’indépendance à analyser son propre couple

Le sexe joue dans cette aptitude sociale, qui a donc une prédisposition ontologique, mais le travail herméneutique ne se réduit pas à cela. Il se fait à plusieurs niveaux conceptuels. Il existe une intelligence herméneutique, connectée à bien d’autres domaines que la relation aux autres. On pourrait soutenir que cette intelligence est plus objective quand l’individu n’est pas impliqué dans la relation, c’est-à-dire que le jugement extérieur sur le couple est plus juste quand on est moins dedans.

Il est donc exact de dire que l’homme oublie la plupart des détails de ses relations sociales, mais il est faux d’en conclure que son travail herméneutique est inférieur. Ce travail repose avant tout sur la qualité de l’Observateur, cet analyste pré-frontal qui évalue nos comportements, qui n’est ni sexué ni genré, lui.

Contre-démonstrations

À l’appui de cette contre-thèse, les hommes font d’excellents psychologues. Leur travail herméneutique professionnel est précis. Les femmes, dans cette profession, ont le potentiel pour un meilleur travail empathique. C’est-à-dire qu’elles peuvent faciliter l’appropriation du diagnostic herméneutique par la personne. Malheureusement l’empathie tend à s’essorer quand on en fait sa profession. L’expérience montre que les mères de famille, psychologues “naturelles”, sont moins précises sur le diagnostic des troubles mais plus impliquées pour les corriger.

Autre argument: la génération actuelle des jeunes femmes, émancipée des injonctions culturelles, continue à être plus douée pour se rappeler les détails des aventures amoureuses. La culture a changé, la nature demeure. Anderson s’interdit de penser que la culture soit une organisation de la nature. L’inconscient culturel profond est le naturel. Nous pouvons chercher à nous émanciper, mais la bonne manière n’est pas de faire comme si la culture avait été parachutée d’un monde des idéaux masculins, chère Ellie.

L’histoire du couple homosexuel est genrée

La culture est l’épaisseur de complexité qui floute la différence de comportement entre la poule et le coq vis à vis des poussins, sans l’annihiler pour autant. Seul un aspect récent de la culture contemporaine, le militantisme du genre, cherche à nier l’existence de cette influence.

Comme j’en faisais la remarque au début, l’histoire du couple est genrée même dans les couples homosexuels. Ce qui rend aberrant de faire du travail herméneutique une injonction sociale. Impossible d’y comprendre la différence entre deux hommes ou deux femmes. Difficile également d’y voir de l’inné, puisque le sexe est le même. Cependant le sexe est une simple prédisposition, et influence de multiples aspects du développement. S’il faut chercher un principe féminin ou masculin, c’est à la jonction de l’inné et de l’acquis.

Une définition plus fondamentale du féminin et du masculin

J’ai déjà exprimé ma position : il existe les deux principes en tout humain. Je les affranchis ainsi des tyrannies du genre culturel et du sexe génétique qui voudraient se les approprier. Cette opinion trouve sa force dans une théorie bien plus étendue que celle de l’esprit. La réalité s’organise autour d’un conflit, individuation vs collectivisation, dans la matière comme dans le mental. Je fais du principe masculin le désir d’individuation dans l’esprit, et du principe féminin le désir de collectivisation.

Le sexe génétique a pour effet de déplacer l’équilibre initial entre ces deux principes. Tandis que le genre culturel manipule cet équilibre, le repositionne plus en phase avec les idées contemporaines. Chacun(e) expérimente à sa façon ces pressions culturelles sur ses pulsions innées. Le genre n’est pas culturel mais résultat de l’interaction entre une tendance sexuelle innée et une culture qui la canalise et peut l’inverser. Nous pouvons devenir plus individualistes ou collectivistes, plus masculins ou féminins.

La société déprogrammée du féminin

L’effort d’Anderson correspond de ce point de vue à une masculinisation de la femme. Mon regret est surtout qu’il n’existe pas d’effort conjoint de l’homme pour se féminiser — dans le sens de se collectiviser! Aujourd’hui le masculin gagne constamment du terrain…

Dernier commentaire: le collectivisme de la femme et son excellente mémoire des évènements sociaux s’explique simplement au plan neurologique, par une connexion précoce et renforcée des émotions à ces évènements. L’importance des émotions dans la gravure mémorielle est un fait établi. Le masculin étant souvent une dédifférenciation du féminin, il est aussi possible que la masculinité soit une déprogrammation de ces liens, favorisant l’individualisme et l’agressivité, caractéristiques complémentaires du collectivisme féminin.

En conclusion

L’incompréhension entre discoureurs du genre tient au fait de privilégier le regard ontologique/l’inné ou le téléologique/l’acquis. L’erreur ? Les rendre concurrents. Dès l’instant où j’en choisis un dans cet article, les partisans de l’autre se seront rebiffés, estimant leur position dévalorisée. Or c’est une telle réaction qui est dévalorisante. Il faut s’observer réagir ainsi avec la méthode philosophique que j’ai développée ailleurs et qui assure la cohérence de ce blog.

Comment mettre d’accord des gens persuadés que 90% d’un comportement vient de l’inné avec d’autres tout aussi convaincus que 90% vient de l’acquis ? En expliquant que le pourcentage n’a aucun sens. Il ne s’agit pas d’arbitrer entre forces rivales. Nous sommes face à des propositions de l’inné rétro-contrôlées par l’acquis. Le tout a sédimenté progressivement en couches conceptuelles depuis la naissance. Intrication indissoluble dont il est ridicule d’espérer tirer des pourcentages causaux.

Genrez-vous votre rosier?

La manière dont vous cultivez votre rosier met plus ou moins en exergue les caractéristiques propres à sa variété. Pouvez-vous attribuer un pourcentage causal à votre culture quand la couleur est la bonne mais le parfum moins net qu’attendu ? C’est idiot. Vous êtes devant un mélange de qualités qui ne sont plus celles des gènes eux-mêmes. Même aberration qualitative quand on fait rivaliser sexe et genre. Sortons-les de l’arène, qui n’a jamais existé que dans notre esprit.

C’est-à-dire, pour que les choses soient bien claires, que nous pouvons faire rivaliser les représentations de sexe et genre dans notre espace conscient, mais pas les “vrais” sexe et genre, en tant que moteurs d’organisation mentale, le premier enfoui dans la génétique, le second très peu accessible lui aussi par ses effets remontant à l’enfance.

Sortons un peu de la scène

Nous nous chamaillons avec des scènes mentales différentes, très identitaires, où nature et culture ont leurs rôles déjà écrits. Seule la science non interprétée nous éclaire un peu sur la manière dont les scènes se sont construites. Les études de genre sont rares à en faire partie. Vous tirerez plus de bénéfice à lire Stratium, pour disposer d’un cadre théorique où installer ces études en bonne place.

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Hermeneutic Labor: The Gendered Burden of Interpretation in Intimate Relationships between Women and Men, Ellie Anderson 2023
Quand les femmes prennent en charge l’histoire du couple, Philomag 2023
C’est votre sexe qui fait la différence – Quand la science démolit les idées reçues. Claudine Junien, Nicole Priollaud. Éditions Plon 2023

Synthèse SEXE et GENRE

1 réflexion au sujet de « Quand les femmes se chargent de l’histoire du couple »

  1. Q: Pourquoi dit-on d’un côté que nous avons un tempérament, c’est-à-dire des comportements fondés sur nos différences génétiques, et de l’autre côté certaines études prétendent que le sexe génétique ne produirait pas de différences de comportement ?

    R: Les différences de comportement sont difficiles à voir au début, surtout dans un environnement très normatif. Les études psychologiques sont faites dans des familles standards et non des milieux sociaux difficiles. Éducation très homogène: les parents ne laissent pas les enfants libres, n’exercent aucune violence, appliquent les mêmes préceptes. Les effets des tempéraments et du sexe sont gommés. Par exemple si le sexe modifie l’agressivité et la solidarité, encore faut-il que l’environnement laisse l’agressivité s’exprimer, ou crée des injustices donnant l’occasion à la solidarité de se manifester.

    Les a priori des chercheurs impactent beaucoup leurs études. Quand des différences de comportement sont difficiles à voir, les partisans de l’acquis cherchent à les rendre négligeables tandis que ceux de l’inné les mettent en exergue.

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