C’est la causalité descendante qui est fondamentale

Abstract: Les errements de la causalité descendante/téléologique font penser que seule l’ascendante/ontologique a valeur fondamentale. C’est pourtant la première qui est entièrement créatrice de nos scènes mentales, y compris en prêtant à la réalité en soi ses modèles, sans y avoir accès directement. La causalité ascendante est fondamentalement constitutive de notre réalité, qui la survole et ne peut y retourner. C’est donc bien la causalité descendante qui est fondamentale dans ce que nous expérimentons “réellement”.

Ma polyarthrite causée par…

« Ma polyarthrite a démarré trois jours après mon dernier vaccin Covid. » Cette dame n’en démord pas. Ce foutu vaccin expérimental testé trop vite sur les gens est bien responsable de sa maladie. Causalité directe et évidente. Directe ? Où est la chaîne précise d’évènements physiologiques qui relie les deux ? Les conspirationnistes les mieux “réinformés”, même ceux pourvus de diplômes, seraient bien en peine de la décrire. La causalité dite descendante, issue de nos représentations du monde, est faite de supputations.

Pour valider cette causalité née de nos croyances et influences, il faut la coordonner à l’ascendante. Une augmentation des polyarthrites a-t-elle accompagné la vaccination ? Ou bien le cas de cette dame est-il une simple coïncidence, puisque le vaccin n’empêche pas les gens de faire leurs maladies habituelles ? Seul un épidémiologiste entraîné peut répondre. Pas les groupes réinformateurs déjà préparés à pourfendre le vaccin. La causalité ascendante, c’est la manière dont le monde biologique s’organise spontanément. Causalité indépendante de nos désirs, de nos hantises, de l’aversion pour Big Pharma. Objective.

La causalité ascendante, c’est du sérieux

Avec cette petite histoire et d’autres aussi courantes, vous comprenez que les scientifiques considèrent la causalité ascendante comme la seule à prendre en compte, la vraiment fondamentale. La descendante est fantaisiste, versatile, presqu’impossible à modéliser ou à catégoriser. Nos esprits sont des mitraillettes déchaînées qui touchent bien rarement la vérité. Et pourtant, même le moins éduqué d’entre eux transforme les choses, change l’évolution de la matière pour améliorer son destin. Ou l’empêche de changer en mieux. Le plus obtus des antivax peut survivre à l’épidémie et continuer à régurgiter son infox, étendant la terreur des vaccins autour de lui.

La sélection naturelle n’est pas bien leste pour faire disparaître les auteurs de fake news. Elle est moins réactive que l’intention, que l’effet instantané d’une fausse représentation. C’est en fait dans un débordement de créativité que l’intention devient conspirationniste. Elle ne peut plus se raccorder à l’ontologie du monde, mais parvient encore à changer son destin. N’est-ce pas finalement cette causalité descendante et fluctuante qui est la plus agissante, et non la sempiternelle ascendante ?

Un bain de particules

La causalité ascendante constitue le substrat de réalité, par des interactions entre entités aux propriétés semblables. Elle génère la complexité, mais si elle était seule force en cause, les propriétés émergentes de cette complexité resteraient invisibles. Rien ni personne ne pourraient les constater puisqu’il n’y aurait rien d’autre pour s’en charger que des micromécanismes aveugles à ces nouvelles propriétés.

Isolément, la causalité ascendante aurait produit un univers de microparticules ou de cordes ou d’un autre plan fondamental à découvrir. L’univers serait un bain de particules sans rien de “vivant” ou de “conscient” au sens où nous l’entendons. Rien pour donner du sens.

Signification et sélection naturelle

C’est la causalité descendante qui crée la signification. Comment se forme-t-elle ? La faire émerger nécessite déjà d’identifier un système relationnel indépendant, doté de ses propres règles. Les éléments identifiables sont les stabilités rencontrées par les micromécanismes, équilibres métastables entre probabilités du système qui forment un niveau de complexité supérieur. Épaisseur de substrat complémentaire.

Ce niveau de complexité répond bien à ses propres règles : auto-inclusion et exclusion des éléments, unité de temps spécifique, contexte. Il n’est pas vraiment indépendant du niveau précédent mais en (in)dépendance relative. Nuance essentielle. Sa constitution peut varier sans que ses propriétés changent. La temporalité de sa constitution est très différente de la sienne propre. Il peut, à son niveau d’existence, établir des interactions qui facilitent sa persistance. C’est dans ce mécanisme que naît à la fois la causalité descendante et la sélection naturelle —exemple majeur de mélange entre les causalités.

De processus à rouages

La causalité descendante est dépendante de l’ascendante comme le rétro-contrôle dépend du contrôle : elle intervient sur une organisation existante. Sans cible, le rétro-contrôle ne peut établir de signification. Avec elle par contre, le système gagne un niveau de réalité supplémentaire. Le rétro-contrôle est l’étincelle créatrice qui sort les micromécanismes ontologiques de leurs sentiers battus. Ils deviennent rouages, c’est-à-dire fondation d’une entité plus complexe et mieux organisée, plus fragile aussi parce que reposant sur une pile d’équilibres métastables.

Difficile de trouver une causalité descendante dans les modèles scientifiques. Tous tiennent debout avec la seule causalité ascendante/ontologique. Voire sans causalité du tout. Un modèle explicatif est une séquence qui emporte les conditions initiales au résultat. À cette boîte noire au parfait fonctionnement, l’ajout d’un principe de causalité n’apporte rien. Une partie des scientifiques voient ainsi la causalité comme un reliquat de croyances religieuses et philosophiques, bien utile avant l’ère des modèles mais obsolète depuis. Ironiquement il est aussi difficile de démontrer la causalité descendante que les miracles et autres interventions divines, tous efforts qui sont de direction téléologique. Une intention est censée produire le résultat. La constitution semble se plier à une volonté.

Nous n’avons pas achevé notre divinisation

Or la volonté, la science ne sait pas ce que c’est, ne sait pas l’expliquer, elle ne rentre dans aucun modèle sauf si c’est la volonté d’une loi physique, d’un principe fondamental inscrit dans la nature du monde. Inconvénient : la majeure partie de ce qu’un humain observe et éprouve au quotidien ne rentre pas dans ce champ très réducteur. Les éliminativistes proposent une solution simple : puisque cela ne rentre pas, c’est donc une illusion, un épiphénomène sans causalité propre. Problème évacué ? Mais qu’est-ce donc ce qui s’illusionne ? Des microparticules ? Des équations mathématiques ? En se théorisant à plat, en se ramenant à sa propre représentation, l’esprit oublie beaucoup de lui-même.

Il ôte l’essentiel. Il oublie sa propre magie intrinsèque, qui est de s’évader des microprocessus qui le constituent, les modéliser et en prendre le contrôle. L’intention est au coeur de la réalité humaine. C’est elle qui nous divinise à petits pas par dessus une physique immuable et des réflexes évolutionnaires. Pas de création sans intention. Cette parcelle de divinité, nous l’avons exacerbée dans les symboles théistes. Certes il n’existe aucune preuve de déité mais notre conscience créatrice constitue une preuve directe, indéniable. À vrai dire, peut-être n’existe-t-il aucune autre causalité qu’intentionnelle puisque nous prêtons nos intentions au monde en le déclarant régi par des lois physiques. Il n’existe pas de causalité sans force pour la mettre en action. Dire ces forces “naturelles” les rend gnostiques plutôt qu’agnostiques, car il faut bien un esprit humain pour les intituler ainsi. Le naturel n’est pas la réalité en soi.

Attention à la conversion éliminativiste!

Nous avons commencé par imaginer notre Créateur, à l’image de nous-mêmes. Puis nous avons découvert notre Générateur, gigantesque machine qui n’a pas fini d’être modélisée. Nous avons l’impression d’avoir rendue la matière indépendante. C’est un leurre. Cette découverte ne fait disparaître pour autant le Créateur, toujours présent en tant qu’assemblée de nos esprits, la source des modèles.

La création est bien celle de la causalité descendante, agissant sur le substrat dénué de but issu de la causalité ascendante. L’esprit, même doutant de sa propre existence, continue à dominer la matière. Mais je me tiens tout de même à distance prudente des éliminativistes. Qui sait si l’un d’eux ne va pas exploser subitement en essaims de microparticules, à nier la causalité qui les fait tenir ensemble ?

Une causalité qui ne descend pas tellement…

L’objectif de la causalité descendante est de réaliser une intention. Très généralement il s’agit du maintien du niveau d’organisation sus-jacent, de sa survie. La qualité du résultat est la réussite de la rencontre entre causalités descendante et ascendante. Il s’agit bien, pour l’intention, non pas d’épouser l’ontologie mais de la rencontrer, pour lui faire prendre un chemin plus désirable. Les erreurs de coordination peuvent avoir deux directions : 1) L’intention n’est pas fondée sur un modèle réaliste. 2) La théorie ontologique est fausse.

De fait le handicap de la causalité descendante est de ne pas descendre assez profondément dans le fondamental pour assurer la réalisation intégrale de son intention. Les modèles sont approximatifs, et rarement transdisciplinaires. L’intention s’arrête au niveau qui reste bien connu. Par exemple dans la polémique sur le genre et le sexe, les débatteurs s’arrêtent au sexe génétique. Mais d’où vient le symbolisme génétique du sexe ? De quels principes plus fondamentaux émerge-t-il ?

La colonisation de l’ontologie par le mental

Au final c’est en prenant possession de l’ontologie que l’intention arrive à ses fins. La causalité descendante, créative, pose des jalons dans les fondations de la réalité en soi, et en fait remonter une causalité ascendante qui fonctionne à rebours. Il faut se rappeler cette chose essentielle : Notre mental est bien créé physiquement par une causalité ascendante, issue de la réalité en soi ; mais il établit une simulation de cette causalité à l’aide de modèles intentionnels, toujours pseudo-ontologiques.

C’est bien la causalité mentale, descendante, qui initie la connaissance, qui crée le monde que nous éprouvons, après avoir été elle-même constituée par la causalité ontologique en soi. Le départ ontologique véritable, dans la réalité en soi, est inaccessible. Nous retournons seulement vers un départ pseudo-ontologique, celui de nos modèles, après avoir constitué des intentions.

Le vrai départ de l’univers que nous expérimentons, incluant le monde physique perçu et les théories à son sujet, est mental. La première direction de représentation est descendante ; alors que la première direction de constitution est ascendante, mais nous n’avons aucun accès direct à cette dernière. C’est une représentation de la constitution qui nous tient lieu d’ontologie en pratique.

Notre volonté est un décalage

Si vous êtes familier de Surimposium, théorie de la réalité fondée sur la dimension complexe, voici un complément de réflexion : la représentation de la constitution est exacte quand c’est l’étage de complexité immédiatement sus-jacent à la constitution qui “représente”. Ici la représentation se réduit à une approximation de la constitution, des propriétés identitaires stables malgré les variations de la constitution. Néanmoins c’est la seule forme de représentation exactement conforme à la réalité en soi, sans intermédiaire. C’est en fait l’étagement de ces représentations directes qui forme la réalité complexe.

Dès qu’une représentation s’éloigne, dans la dimension complexe, de la constitution qu’elle désigne, elle se fausse. Un autre contexte est apparu. L’accès direct a disparu. C’est également ainsi que l’intention diverge de sa réalité constitutive, prend de l’altitude. Elle peut obliger sa constitution à se maintenir (survie) ou prendre un autre chemin désirable. Les intentions décalées de la réalité en soi, et intégrant des critères supplémentaires, forment notre volonté d’agir sur le monde.

La science instrumente la volonté

Aux niveaux de représentation mentale, la divergence est parfois si aventureuse que la volonté est impuissante. Par exemple croire au Dieu du Tonnerre et lui faire un sacrifice n’influence guère les phénomènes atmosphériques. La science consiste à faire recoller, modèle après modèle, chaque représentation à son niveau décrit dans la réalité en soi. La science reste un instrument pour rendre la volonté efficace. Elle ne dit pas ce qu’il faut faire. La volonté est elle-même instrument de nos désirs. Pas toujours conciliables. L’organisation de ces désirs et leur intégration à ceux de nos congénères est la tâche la plus difficile, où la science est impuissante à nous conseiller.

C’est notre créativité descendante, téléologique, qui garde la main.

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Synthèse CAUSALITÉ

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