Qu’est-ce qu’une croyance tirée de la science?

Envie de savoir et besoin de ne pas comprendre

Citation d’Alexandre Vialatte : « L’esprit de l’homme ne cesse de rêver. Mais aussi de méditer, de supputer, de calculer. Il a envie de savoir et besoin de ne pas comprendre. Bref, de connaître et de s’émerveiller. Nécessités contradictoires : l’une exige de savoir et l’autre d’ignorer. D’où la science et la poésie. »

Remarquable acuité de l’observation chez Vialatte, que je corrigerais pourtant ainsi : L’esprit a envie de connaître et besoin de ne pas comprendre. ‘Savoir’ sans ‘comprendre’ est seulement ‘connaître’; et souvent même se réduit à ‘croire’. Ce qui nous renvoie au traitement actuel de la science dans les médias, qui dérive beaucoup trop souvent en pseudo-science, en collection de croyances.

Émerveillement et satisfaction

En effet la vulgarisation est contingentée par le principe de Vialatte : le vulgarisateur contemporain doit satisfaire deux nécessités contradictoires : rendre la connaissance à la fois vulgaire et merveilleuse. L’éblouissement est dans le défaut de compréhension des détails. C’est de la stupéfaction devant le nouvel astre suspendu dans le ciel de l’esprit, sans que l’on sache comment il est arrivé là.

L’émerveillement est un produit de la connaissance mimétique, bien différente de l’invention personnelle. L’invention est un processus intrinsèque à l’esprit, fondé sur l’arborescence conceptuelle existante, proposé à la conscience et affiné par elle. Il procure une sensation forte et plaisante également qui est la satisfaction de l’« Euréka! ». La satisfaction c’est la récompense de l’esprit par une source intrinsèque, tandis que l’émerveillement est activé par une source extrinsèque.

Un peu de langage philosophique universel

En langage UniPhiM la satisfaction est contenter le T (le soi/individuation/soliTaire) et l’émerveillement est le plaisir du D (le non-soi/appartenance/soliDaire). S’émerveiller est s’éprouver en tant que partie d’un monde prodigieux, auquel l’esprit vient de se connecter par la connaissance. Le connaître ainsi est une connexion dégagée, élargie, celle d’une partie au tout. Tandis que le savoir, ajouté, est une connexion resserrée, propriétaire ; un savoir est une représentation intégrée à l’identité.

Avez-vous déjà expérimenté le plaisir de découvrir un savoir entièrement seul, d’avoir l’illumination ? Il est fort différent du plaisir d’écouter celui qui nous y emmène, de partager l’illumination. Les exemples sont multiples : réaliser son oeuvre d’art ou apprécier celles des autres ; inventer un objet ou le commercialiser après avoir jugé son intérêt. Généralement ceux qui inventent et qui font admirer ne sont pas les mêmes. Difficile d’être à la fois bon chercheur et bon professeur. Le réglage de l’esprit tend vers le T ou le D. La traction vers l’un éloigne de l’autre. Attiré par le soliTaire notre esprit est moins soliDaire et vice versa.

L’émerveillement est solidaire

Susciter l’émerveillement, sur les réseaux sociaux, est flatter le D, la partie soliDaire. C’est partager la connaissance. Le T en profite quand l’esprit est capable de reconstruire aisément sa compréhension. Nos moyens diffèrent grandement à ce sujet. Sans formation préalable, la vraie compréhension ne vient pas spontanément, contrairement au spécialiste qui transforme facilement la nouvelle connaissance en savoir. Dans tous les cas, au sein de l’esprit, le T est “client” de la connaissance proposée par le D, qui est le principal bénéficiaire de l’émerveillement.

Allez jusqu’à dire que l’esprit a « besoin » de ne pas comprendre, comme le fait Vialatte, est forcer un peu le trait. Disons plutôt que la compréhension gêne l’émerveillement, en réveillant le T, en déviant l’émerveillement vers la satisfaction de soi. La tendance sociale actuelle est d’ailleurs un renforcement général des egos, soit des T(s) exacerbés chez tous, peu importe les moyens intellectuels et la formation. On assiste ainsi à moins d’émerveillements et davantage d’appropriations : « Je le savais déjà », « J’ai compris tout seul que… », « Rien de bien nouveau là-dedans », etc.

Le savant, le connaisseur et le croyant

S’agit-il d’une augmentation générale du savoir ? Non, plutôt de connaissances déconnectées de leur compréhension, et souvent de pures croyances. La différence ? Le savant peut répondre à un enchaînement quasi illimité de “pourquoi?”; le connaisseur s’arrête assez vite ou affabule pour remplir les blancs; le croyant dit « C’est comme ça ».

Ainsi l’intérêt croissant pour la connaissance scientifique peut-il faire paradoxalement reculer le savoir, et accroître l’espace vaporeux des croyances. Il existe aujourd’hui une religion de la science entourant les découvertes scientifiques, à laquelle participent volontiers les prêtres-chercheurs. Cette religion sans savoir est une ignorance. Nous sommes bien dans les critères de l’émerveillement.

Et nous comprenons également que les meilleurs éblouisseurs de science soient ceux dotés des plus grands talents poétiques.

*

Laisser un commentaire