Elon Musk et la variable X

Musk, un parfum d’individualisme

A-t-on dit à Elon Musk qu’il existe plusieurs intelligences, et qu’il est impossible de les entretenir toutes aussi bien ? Lorsque l’on en travaille une, les autres se défont. Or l’intelligence sociale de Musk a-t-elle seulement dépassé le stade de modeste ? J’en doute. Elle se concentre sur les gens qui l’entourent, les autres étant rangés dans de grands bacs comme des petits soldats. Musk ne fréquente qu’un nombre réduit de types de personnalités. Sa théorie personnelle de la société est trop simpliste.

Mais surtout, comme tout ultra-individualiste, Musk ne comprend pas la nature d’un collectif. Il le voit comme une collection d’individus luttant pour des avantages et du pouvoir, et non comme une entité émergente capable de rétroagir sur ses membres par une conscience partagée. Les individus, il s’en dépêtre ; le collectif, il ne peut le gérer, car c’est pour lui une individuation plus grande que les autres mais toujours extérieure à lui. Il ne se place pas lui-même à l’intérieur, pour réaliser que le collectif c’est “être partie de” et non “à côté de”.

X n’est pas juste une foule, et la société encore moins

Dans son grand projet pour la planète, Musk a ainsi considéré X, l’ancien Twitter, comme une variable à ajuster pour que la société fonctionne mieux et que le projet-équation colle au destin espéré. X n’est pas loin d’être une variable aussi simple, en effet, car ses algorithmes n’ont pas une grande profondeur de complexité. Mais de fait, X n’a rien d’une société en réduction ou d’un miroir de la société réelle. C’est un commerce, vendeur de séductions, pas de punitions.

X est surtout une complexité artificielle. Ce microcosme n’est pas auto-organisé. Il est un outil de manipulation plutôt que d’expression. Il outrepasse les relations sociales habituelles, modulées par les cercles sociaux, pour injecter des suggestions directement dans l’intimité de l’esprit individuel. Les abonnés à X s’éprouvent comme des pêcheurs d’information. Ils sont en réalité des poissons. X est un hameçon. Si vous l’avalez, vous n’en décrocherez pas.

Un rouage ou la pièce de trop?

Dès lors X ne peut être une machine à faire mieux fonctionner la société. Ce n’est pas en lançant des appâts aux gens qu’ils construisent les bonnes idées, car ils ne les auto-organisent pas avec les existantes, se contentant de les baliser avec des drapeaux rouge, vert ou blanc, des étoiles et des mimétismes sommaires. Ces poissons ne font pas de meilleures parties d’un banc, d’un tout qui profiterait d’une augmentation de cohérence et de solidarité. Les poissons sont au contraire davantage individualisés, enfermés dans leur vision personnelle du monde, cernés par les opinions adverses. Ils partent par petits groupes dans toutes les directions.

Musk se serait moins planté en achetant X en tant que commerce pour propager ses idées. Tandis qu’il l’a vu plutôt comme un rouage important de la société moderne, dysfonctionnel, à réparer pour que les opinions évoluent dans le sens qu’il attend. Mais X n’est pas un rouage. Son algorithme est un outil de remodelage social qui amplifie l’individualisme au détriment du collectivisme. Laisser l’algorithme agir librement, ce n’est pas augmenter les libertés individuelles mais désagréger la conscience collective.

Manque le modèle ontologique

Pour s’en apercevoir, et y voir un lien avec la fragilité croissante de nos démocraties, il faut disposer d’un modèle ontologique de la société. Il faut connaître la diversité des parties pour être quelque peu stupéfié de les voir fusionner dans un collectif, et comprendre que cette complexité est fragile. Comment doivent procéder ceux qui ont la prétention de cornaquer le collectif ? Pas en prenant le contrôle d’outils de masse comme X, tellement grossiers qu’ils menacent l’existence même d’une conscience collective, mais en comprenant les micromécanismes sociaux, les incitations et les inhibitions, le conflit entre être soi et faire partie de plus grande que soi. Faire en sorte que ce conflit soit productif, que la réalisation personnelle ne soit pas en conflit avec l’intérêt général, l’intérêt général étant ce qu’en dit la majorité des autres et non pas soi, même quand on s’appelle Elon Musk.

C’est en restant invisible et avec de petites stimulations que l’on oriente doucement la marche de l’éléphant collectif, et il va de lui-même dans la bonne direction, peut-être pas exactement celle espérée au départ. Mais l’idéal n’est pas fait pour être atteint ; il est juste un poteau indicateur sur le chemin.

*

Laisser un commentaire