Ne restent que des cendres…

Un poing fermé

Il semble à Sven Ortoli que les crémations mortuaires « manquent d’un point final, d’un moment où l’on reconnaît que la porte est fermée. C’est ce qui se passe dans un cimetière, ou sur un bûcher des rives du Gange. “Le sacré va avec la clôture”, remarque Régis Debray ».

Beaucoup de fins manquent d’un point tout court. Le deuil n’est pas démarré. Le vide est tellement grand qu’il ressemble à un trou noir absorbant tous les points que l’on voudrait y inscrire. L’encre est invisible.

Tandis que le point final apporté par la cérémonie, la “clôture du sacré”, est un peu sévère, sauf pour ceux qui parviennent à contempler les mouettes en se disant « Tiens, l’une d’elles ne serait-elle pas mon cher disparu ? ».

Des points suspendus pour la fête

Entre les deux, je préfère les points de suspension. Cérémonie personnelle du souvenir. Je crois même que fêter l’anniversaire d’un décédé a plus de signification que celui d’un vivant. Les vivants ont besoin des autres pour célébrer leur destinée, mais dans cette exigence collective le besoin de moi est facultatif. Le décédé, lui, n’a d’autre existence que dans mon univers intérieur. Devrais-je lui faire une crémation mentale, reconnaître que la porte de ma mémoire est fermée ?

Ou la bloquer en position ouverte. Passer devant l’entrée toujours éclairée. M’émerveiller des scènes émouvantes que j’y vois rejouer. Savoir que c’est en les regardant qu’elles gardent leur vivacité. Que les cendres ne contiennent aucune trace des êtres chéris. Que ces informations, meilleure approximation certaine de l’âme, sont stockées dans mes circonvolutions plutôt que dans les plumes d’une mouette.

Que je peux faire jouer l’être chéri dans mon théâtre intérieur, au milieu des autres. Car même les vivants n’existent pas autrement dans ma réalité. Les morts peuvent aussi bien me conseiller, m’apporter l’empathie dont j’ai besoin. Ils ne demandent rien en échange.

Les vivants-morts

Ils sont toujours vivants, quelque part, sans que cet endroit m’interroge. C’est une part de mon esprit. J’y garde bien davantage d’informations sur eux que n’en a jamais recélé un fichier numérique. Des informations qu’ils n’avaient pas eux-mêmes, en partie. Une existence enrichie.

Ils sont sacrément vivants, quand j’y pense. Le cinéma d’horreur nous a foutu sacrément la trouille avec les morts-vivants, des corps sans esprit. Eh bien baignons à présent dans la quiétude avec nos vivants-morts, des esprits sans corps, qui nous servent et nous fortifient.

*

Laisser un commentaire