Se relire ?

Clan du Cri Brut vs Confrérie de la Prose Raffinée

Deux écoles, que j’aime intituler : le Clan du Cri Brut et la Confrérie de la Prose Raffinée. Le Klan (Kree Brut’s Klan en anglais) vénère Dostoïevski et Henri Miller, qui vante « le pacte tacite avec moi-même de ne pas changer une ligne de ce que j’écris. Perfectionner mes pensées ou mes actes ne m’intéresse pas ». La Confrérie, à l’opposé, raffine sa prose jusqu’à la pureté du diamant, à l’image de Tourgueniev. Perfectionniste, le Confrère l’est jusqu’à l’obsession.

Miller dépeint le modèle du Klan comme une fidélité à soi. Fidélité à ses propres instanciations, sans retour en arrière. Tandis que la Confrérie est à la recherche d’un idéal du soi. L’intérêt des étapes intermédiaires ? Négligeable. Que penser de cette justification à retoucher ou non son oeuvre, chez Miller ?

‘Relire’ n’est pas mécaniquement ‘reconsidérer’. Avant de juger si la tâche révèle un idéalisme, elle est pragmatique. Ma pensée est-elle correctement traduite ? L’écriture de Dostoïevski l’épouse étroitement. Inutile de vérifier. Tandis qu’un Tourgueniev place son idéation au-delà des mots. Il est contraint d’affiner outrancièrement son masque langagier pour la reconnaître, n’est satisfait que lorsque lui-même est impressionné. L’un comme l’autre, ces auteurs travaillent dans le présent. Aucun ne s’estime réviser l’oeuvre au beau milieu de sa réalisation. Elle colle à leur identité, que Dostoïevski place dans son langage même, et Tourgueniev à distance. Sans surprise, l’idéaliste montre une continuité plus franche dans son oeuvre que le langagier. Le premier tourne autour d’un pôle reconnaissable mais inaccessible. Le second déroule son chemin par monts et vaux de rencontre.

Se relire pour les autres

Miller identifie une troisième école, à part, symbolisée par Van Gogh dans ses lettres : celui qui écrit seulement pour lui-même, sans artifice. « Triomphe de l’individu sur l’art », dit Miller. Ah bon ? Qu’est-ce que l’art, sinon le collectif des débordements de la pensée ? Comment alors parler de triomphe sur le collectif quand l’individu ne fait que dialoguer avec lui-même ? Miller convoque un collectif auquel Van Gogh n’accorde aucune attention.

Je me relis, non pas pour sanctionner mon propre discours, mais pour vérifier qu’il correspond bien à ce que j’ai voulu dire… aux autres. Peu importe l’espace identitaire d’où je l’ai fait sortir. Mon dialogue intérieur, lui, supporte toutes les erreurs de syntaxe. Émetteur et récepteur font les mêmes.

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