Tintin comme explication du néant

Philippe Ratte explique dans ‘Tintin ou l’accès à soi’ (Ginkgo, 2015) que le héros de Hergé a surgi de nulle part, subitement, en 1929, dans Tintin au pays des Soviets. Aucun passé, aucune famille, même pas issu d’un ovule. Hergé est son papa mais n’y a pas mis un seul de ses spermatozoïdes. Tintin est l’exemple même de quelque chose surgissant apparemment du néant.

Le Néant sur le divan

Étienne Klein reprend l’idée dans ‘Tout n’est pas relatif’ (2017) pour faire l’analogie avec l’origine de l’univers, parti de rien. Parler du rien c’est déjà faire apparaître quelque chose. Si un début se situe dans un contexte alors le contexte est supposé avoir un début lui aussi. Une chaîne infinie s’installe qui déconsidère l’idée d’un ultime début. Le mot devient une contradiction en soi.

Tintin sauve la situation, en tant qu’exemple d’une chose issue du néant. Ce n’est pas la plus simple de ses aventures, mais il peut rester chez lui : son existence suffit à résoudre l’affaire ! Mais est-il vraiment sorti de rien ?

Tintin fait son Oedipe sur maman Néant

La force d’Étienne Klein est de mélanger sérieux et humour, l’un et l’autre n’étant jamais purs. Il laisse ses lecteurs se débrouiller avec le mélange, y prendre ce qui leur convient. Certains n’y verront qu’une blague, d’autres une illumination. Il n’y a pas grande distance entre les deux, en fait. L’humour n’est-il pas enraciné dans l’improbable et l’inconnu, dans ce que nous sommes capables d’imaginer et qui a fort peu de chance d’être croisé ?

Tintin comme explication du néant relève d’une conception particulière de la réalité. Étienne, comme la plupart des physiciens et surtout des mathématiciens, est séduit par l’idée d’un monde des idées, ce concept attribué à Platon des idéaux survolant le monde et lui conférant sa structure. Dans cette réalité dualiste, Tintin surgit du néant parce qu’il arrive d’un univers entièrement indépendant, celui des idéaux, qui s’imprime dans la pensée d’Hergé.

Non seulement Tintin connaît l’origine de l’univers —c’est la même que la sienne— mais il possède un spaceship transdimensionnel capable de l’amener instantanément du monde des idéaux à travers un trou de ver, le ver étant un parasite du cerveau d’Hergé —je chambre Étienne à mon tour.

Transfert virtuel

Pour les sérieux encore en ligne, garder l’univers moniste impose de lui réintégrer la naissance de Tintin, et la virtualité des pensées, sous forme de schémas neuraux complexifiant l’information : Tintin apparaît brutalement à la une du journal, mais tous ses constituants étaient là depuis longtemps. Le personnage est assez simple et Hergé a du l’imaginer éveillé. Beaucoup d’autres plus compliqués sont nés en rêve ou sous LSD.

Pas nés du néant. Le néant reste un oxymore, s’annulant dès qu’il est énoncé. D’origine à l’univers il n’existe probablement pas. Je comparerais plutôt cette origine à l’ovule d’où n’est pas né Tintin.

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Tintin ou l’accès à soi, Philippe Ratte, Ginkgo, 2015
Tout n’est pas relatif, Étienne Klein 2017

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