Information et conscience

Abstract: Je montre comment Surimposium, une théorie de la conscience fondée sur la complexité, englobe les positions existantes sur information et conscience, celle des philosophes, des physicalistes, et les nouvelles théories panconscientes dont l’information intégrée de Tononi.

Trois positions

Trois positions sur information et conscience:
1) Philosophique classique : l’information est relative à un observateur conscient (Searle).
2) Matérialiste classique : l’information existe en soi, indépendamment de tout observateur, et n’est pas équivalente à la conscience.
3) Panconsciente : l’information existe en soi et est équivalente à la conscience —ou son traitement est la conscience (Chalmers, Tononi).

Au sein des partis

La position (1) comprend les phénoménologistes, qui refusent de voir la conscience réduite à de l’information ou toute autre quantification. La philosophie classique peut être qualifiée d’attentiste dualiste : le phénomène est gardé à part tant qu’une explication satisfaisante n’est pas proposée. Certains pensent que l’explication est impossible.

La position (2) comprend les éliminativistes, qui font de la conscience une illusion générée par les processus neuraux. Mais qu’est-ce qu’une illusion ? L’élimination n’est pas une explication.

La position (3) est la plus hétéroclite. Elle héberge à la fois:
-le panpsychisme, où la conscience est vue comme un aspect universel de la réalité, ajouté à son aspect matériel, à considérer indépendamment de l’information physicaliste,
-la conscience quantique (Penrose, Hameroff), où le cerveau est vu comme un ordinateur quantique, avec une équivalence entre la cohérence quantique et la conscience,
-l’information intégrée (Tononi), où la conscience est équivalente à la profondeur de traitement de l’information.

Attention au terme ‘panpsychique’

Évitons de confondre panconscience et panpsychisme. Le panpsychisme se nourrit de nombreux mysticismes religieux tandis que l’information intégrée est une théorie de l’information physicaliste. Le point commun des positions panconscientes est le monisme : la conscience est voulue intégrée au monde matériel et non éliminée (matérialisme) ou considérée comme un problème insoluble (par certains philosophes).

L’information intégrée

Les 3 positions se nourrissent bien sûr de l’absence de théorie consensuelle sur la conscience et des carences de chaque tentative pour expliquer l’ensemble des expériences à son sujet. L’information intégrée de Tononi est la théorie la plus résistante aux critiques. Quelques détracteurs ont voulu la décrédibiliser en disant qu’elle faisait d’une administration gouvernementale un être conscient. C’est ne pas comprendre la différence entre information amassée et intégrée. L’intégration signifie qu’aucune information n’a de signification sans la présence des autres. Même Christof Koch, qui a repris la théorie de Tononi, l’interprète mal en supposant que l’internet pourrait être conscient. Le web est une multiplication d’informations autonomes et leur classification, pas leur intégration.

Cependant l’information intégrée échoue à expliquer la conscience dans son aspect de phénomène. Elle ne satisfait pas la position philosophique classique, qui refuse de voir le phénomène réduit à une pure théorie physicaliste. Comment, alors, départager les 3 positions sur information et conscience ? Est-ce que Surimposium, théorie plus ambitieuse que l’information intégrée, peut trancher ?

Surimposition de niveaux qualitatifs

Surimposium est bien une théorie panconsciente et non panpsychique. Elle ne voit pas de “psychisme dans la matière” mais l’en fait émerger. Elle se différencie des autres essais sur une affirmation essentielle : la conscience n’existe pas dans la matière d’une manière que nous pouvons reconnaître ou éprouver. Elle n’est perceptible que pour un processus situé au même niveau d’information. Dans Surimposium la conscience n’est pas un phénomène quantifiable, à l’inverse de Tononi qui la mesure avec son facteur Phi. La conscience est une intégration de niveaux qualitatifs, chacun relativement indépendant des autres. Le concept d’indépendance relative est ceci : un niveau n’existe que par dessus celui de sa constitution, mais forme une couche d’information qualitativement indépendante.

J’utilise le terme ‘surimposition’ plutôt qu’intégration. L’intégration désigne en effet l’information propre à chaque niveau de réalité, l’ensemble des relations entre ses éléments. Cette intégration forme le niveau sus-jacent, qui est surimposé qualitativement au sous-jacent. La surimposition est une réalité physique. Ce n’est pas un artifice épistémique, un outil du mental pour mieux se saisir du réel. La surimposition est “éprouvée” par toute entité capable de reconnaître la qualité du niveau créé, c’est-à-dire appartenant au même niveau.

Le franchissement d’un niveau de complexité

Dans Surimposium la conscience élémentaire naît du retournement du niveau surimposé sur sa propre constitution —j’explique de quelle manière dans le livre. La surimposition et la constitution sont les deux faces d’une même pièce. Indissolubles. La conscience n’est donc ni un “champ” ni une “force” ni l’information mais un franchissement de niveau de complexité, l’apparition d’un niveau émergent d’information dans le système des éléments en relation. Les franchissements font de la complexité une véritable dimension physique, d’une variété différente de l’espace et du temps.

Chaque franchissement crée une nouvelle fusion qualitative, un phénomène unique. Surimposé aux précédents, donc reposant entièrement sur eux, mais unique en tant que leur fusion. Cette hypothèse explique parfaitement les deux aspects paradoxaux du phénomène éprouvé, à la fois fusionnel et pointilliste —dans la fusion consciente est perçue l’étagement des éléments conceptuels sous-jacents.

La computation n’apparaît pas dans le néant

La principale différence entre Surimposium et les autres théories panconscientes est sa verticalité. Les théories classiques sont horizontales, c’est-à-dire qu’elles font de la réalité un vaste système physique dont la conscience serait une composante, au même titre qu’une particule ou un champ. La complexité est vue comme une propriété de ce système, intrinsèque aux mathématiques qui le décrivent. Même Tononi a conçu sa théorie comme computationnelle, la complexité comme phénomène émergeant du traitement de l’information.

Surimposium est différent. Cette théorie voit la dimension complexe comme fondamentale et les mathématiques comme un langage la décrivant. La dimension a deux axes, horizontal propre à chaque système d’éléments en interaction, vertical lié à l’apparition de propriétés émergentes, faisant des systèmes les éléments d’un système supérieur. La verticalité complexe est l’étagement de ces systèmes qualitativement indépendants.

Satisfaire le phénoménologiste

Impossible donc de comparer la conscience d’atomes, de cellules, d’un réseau neural moteur et de neurones intégrateurs de l’espace de travail global. Chacun de ces niveaux éprouve sa conscience propre, qualitativement indépendante, mais entièrement fondée sur la surimposition des sous-jacentes. Nous retrouvons là l’exigence des philosophes classiques : aucun phénomène, aucun qualia, n’est réductible aux autres ou à ses micromécanismes. Chacun inscrit sa propre existence à un étage de la dimension complexe. Des consciences élaborées biologiques et numériques sont possibles, peuvent accomplir les mêmes tâches, tout en étant phénoménalement différentes.

Satisfaire le physicaliste

La position physicaliste est respectée : pas de conscience perceptible dans la matière parce qu’il est impossible de se substituer aux processus pour la percevoir. Nous pouvons modéliser le processus ou le mesurer avec nos instruments, mais pas l’éprouver. L’éliminativisme devient le constat de nos limites et non une explication de la réalité.

Satisfaire le spéculatif

Les différentes positions panconscientes s’inscrivent facilement dans ce schéma. Le panpsychisme spiritualiste se loge au sommet de la verticalité complexe, espace mental largement ouvert sur le monde, capable d’héberger toutes les spéculations. Leur existence au titre de configurations neurales hautement complexes est indéniable. Reste à savoir si elles représentent autre chose dans la réalité. Le propre d’une représentation est de se chercher dans le monde, parfois en vain…

S’intégrer complètement

L’information intégrée est une excellente théorie ontologique mais doit s’inscrire dans la verticalité complexe au lieu de voir hors d’elle, en train de la modéliser, ce qui exclue de fait l’esprit qui modélise. Reliquat du monde des idéaux de Platon, qui encourage encore beaucoup de scientifiques à situer leur pensée dans un monde alternatif, dont leur science n’a pourtant jamais confirmé la présence. Nous avons tous en tête une théorie philosophique sans se savoir philosophe.

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Synthèse CONSCIENCE

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