Le militantisme anti-notes

La notation des élèves est régulièrement critiquée. Conséquence : une disparition progressive de ce mode d’évaluation au profit du contrôle d’acquisition des connaissances. Peut-on remplacer complètement l’une par l’autre ? Je vais montrer que le discours anti-notes est aveugle, en occultant la présence du collectif social.

La notation est-elle réductrice?

La première critique faite sur la notation est son côté réducteur. Elle ramène une intelligence multiforme à une quantification sommaire entre 0 et 20. Jean-Philippe Lachaux fait l’analogie avec deux toiles de maîtres, Titien et Picasso, que l’on comparerait en les pesant ou en mesurant leur longueur d’onde dominante. L’analogie est vraiment stupide et dégonfle paradoxalement la critique. Si la note en elle-même est réductrice, elle traduit une évaluation qui est bien multiforme chez l’enseignant. Celui-ci connaît de nombreuses facettes de l’élève, ses compétences annexes, sa motivation. La note intègre au contraire des dimensions additionnelles au sujet traité, sauf quand la copie est anonyme. Elle mesure de manière composite l’écart par rapport à l’idéal (20/20) de l’enseignant.

La mesure composite est la plus naturelle pour le cerveau. C’est même son principal outil de maîtrise sur le monde. Il catégorise, classe, synthétise. Il réussit ainsi à agréger des critères peu miscibles, et obtient son graal : la décision. Les mesures lui permettent d’agir sur le monde, de trancher entre plusieurs comportements possibles. Ne pas noter, c’est refuser de décider. Le refus temporaire est appelé ‘prudence’, celui qui perdure est une ‘démission’.

Le Marché des Compétences

Le problème de la notation n’est pas étranger à la tentation de démission éducative. Ne pas noter est se débarrasser des soucis de l’évaluation, ou les repousser à l’année suivante, les transmettre à un autre enseignant. Voire c’est l’entité Éducation qui se défausse du problème vers le Monde du Travail : « Je n’ai pas envie de peiner mes enfants en les notant. Je me contente d’indiquer leurs compétences. Cela vous suffira à les choisir. »

Quelles sont les limites de ce discours ? Le Monde du Travail est en fait un Marché. Il fait ses courses parmi les compétences. Certaines sont plus chères que d’autres. Les entreprises en attendent beaucoup. Elles se disputent des cerveaux qui se pensent idéaux, et pas seulement compétents. Mais la disparition des notes égalise la marchandise. Il n’y a plus ni candidat exceptionnel ni médiocre. Le marché du travail se fonctionnarise.

La note collective n’est pas la somme des notes individuelles

La faveur décroissante pour la notation peut faire partie, ainsi, des facteurs qui ont affaiblit la motivation de la jeune génération actuelle pour le travail. Je ne fais pas ici de jugement moral. Mon propos est simplement de rappeler que les choix éducatifs ont des conséquences qui débordent largement le cadre de la vie personnelle des élèves et des enseignants. Le réflexion sur le sujet est nécessairement globale.

C’est la critique principale qu’il faut faire au discours anti-notes. Le point de vue est réducteur. Il s’arrête à la réalisation personnelle de l’élève. Il ne prend absolument pas en compte le collectif dans lequel s’intégrera le futur adulte. Le discours postule qu’un ensemble d’individus bien dans leur peau fera obligatoirement un collectif réussi. Il est bien sûr possible, désirable même, que ce soit le cas. Mais cela impose de réfléchir aux règles du collectif et pas seulement aux satisfactions individuelles. Ces satisfactions entrent en conflit. Comment les organiser ? Le collectif est une entité indépendante des individus. Sa note globale n’est pas la somme des notes de tous ses citoyens.

Stop au manichéisme anti-notes

L’éducation n’est pas coincée entre la méritocratie et l’égalitarisme, systèmes où la notation passe d’une importance majeure à nulle. Il existe un grand nombre de systèmes intermédiaires. À quoi doivent-ils s’adapter en fait ? À la discordance entre une génétique inégalitaire, des idéaux égalitaristes, et une société qui cherche à tirer parti des inégalités. Trouver le meilleur compromis n’est pas facile. Mais est-ce en se passant d’outils précis tels que la notation que nous le trouverons ?

Il faut réfléchir à la meilleure manière de l’utiliser. Par exemple séparer nettement les intelligences. Tous les cerveaux sont affairés. Mais la performance de leurs fonctions varient. Quand on note défavorablement certaines, il faut simultanément avantager les autres. Exacerber ainsi l’identité, la sortir de la ‘moyenne’ égalitariste sans la détruire.

Cessons en tout cas le militantisme anti-notes, qui est un dogmatisme au même titre que la méritocratie. C’est brocarder un outil sans réfléchir aux grands problèmes de nos sociétés.

*

Notes : quel impact sur le cerveau ? Jean-Philippe Lachaux, Cerveau & Psycho 151, 2023

Laisser un commentaire