Personnalité et Psociété (société psychique personnelle)

Versatile mais pas incohérent

Je peux être une personne très différente selon les circonstances : calme coléreux infantile paternel frivole responsable insensible empathique, etc. Certains aspects sont marqués et servent chez mes proches à définir ‘ma personnalité’. Néanmoins si je suis calme puis en colère, mon apparence change prestement, ce qui rend suspect pour les autres l’unité du ‘moi’ que je ressens. Je peux douter avec eux : Comment ai-je pu dire telle chose, me comporter de cette façon ? Les circonstances sont-elles seules coupables ? Non. Si c’était le cas, je serais parfaitement prévisible : tel contexte = telle réaction. Or il m’est difficile, comme pour les autres, de deviner mon comportement futur. Il n’existe pas dans nos consciences un PDG qui tracerait à l’avance notre politique personnelle.

Ma versatilité pourrait venir de la multitude d’idées qui me traversent la tête. Évocations désagréables ou plaisantes influencent mon humeur. Paroles et actes s’en ressentent. Finalement mon apparence n’est-elle pas simplement l’émergence de ce maelström mental permanent ? Non plus. Car ma personnalité serait parfaitement fluide, plutôt que campée sur ses différents aspects. De quoi sont faites ces postures ? Comment les idées d’une certaine couleur s’agrègent-elles pour former une apparence qui perdure, écartant temporairement les autres ? Comment un maelström construit-il une île ?

Mon assemblée de ‘persona’

Je me comprends mieux en faisant de ‘moi’ une assemblée d’éléments de personnalité. Appelons-les ‘persona’. Je ressens les tiraillements entre leurs tendances. Ces tractions sont permanentes. Ce qui est mouvant est la confrontation avec l’environnement. Les persona négocient un comportement qui n’est pas hasardeux ou chaotique. Il traduit la domination temporaire d’une persona. Comme une assemblée législative qui se range à l’avis de l’orateur le plus éloquent.

Cette société psychique intérieure je l’ai appelée initialement ‘polyconscience’. Le terme peut prêter à confusion, la conscience étant expérience fusionnelle. ‘Psociété’ (Psociety en anglais, contraction de ‘Psychic society’) est plus technique mais plus démonstratif. La Psociété est donc une assemblée de persona, éléments complexes de personnalité eux-mêmes démembrables en concepts sous-jacents. Les persona partagent les mêmes idées mais en sont des confluences indépendantes. Elles expliquent que nous passions d’un type de comportement à un autre tout en gardant une cohérence intrinsèque.

Les exemples les plus démonstratifs de l’existence de la Psociété sont les évènements majeurs de la vie. Traumatisme, spoliation, disparition d’un proche, maladie dont on a réchappé de peu. L’individu voit soudainement l’existence sous un autre jour. Il n’y réfléchit pas vraiment. Il devient autre. L’assemblée de ses persona se réorganise. Il abandonne certaines attitudes favorites, en choisit d’autres. Pour ses proches, sa personnalité change radicalement. Résilience. Difficile à expliquer, tant psychologiquement que neurologiquement, sauf à utiliser le concept de Psociété. Les sièges des persona ont valsé. Un nouveau président s’est fait élire à l’assemblée.

Connexion avec les théories de personnalité

Nombreuses sont les théories psychologiques qui se réfèrent à la Psociété sans la dénommer ainsi. L’analyse transactionnelle d’Éric Berne postule des “états du moi” (parent, enfant, adulte) et s’intéresse à leurs interactions. Ce sont des versions simplifiées des persona. La société des microrobots psychiques de Marvin Minsky est inspirée de l’intelligence artificielle. Elle voit la cognition comme une compétition d’agents produisant des réponses partielles, arbitrés par des agents supérieurs (similaire aux persona chapeautant des concepts sous-jacents). Le modèle hypostatique résumé par Codrin Ţapu conçoit des hypostases qui sont également les multiples aspects de la personnalité. Il réunit l’approche ascendante de Minsky et descendante de Berne. La Psociété ajoute la notion essentielle de hiérarchie à l’édifice. Hiérarchie de niveaux psychiques dotés d’indépendance relative. Expliquant qu’il existe un regard ascendant et descendant sur chacun d’eux : il faut un point de départ indépendant à ces approches.

La difficulté à tester scientifiquement ces modèles est manifeste : la théorie la plus “officielle” de la personnalité est le Big Five, sommaire liste de traits de tempérament bien incapable de refléter la richesse d’une personnalité et sa dynamique. Régression par rapport au siècle dernier, où les théories originales fleurissaient.

La Psociété n’est pas testable mais éprouvable, à la première personne. De même en suivant le chemin ascendant de l’organisation neurale, nous aboutissons aux synthèses douées d’intention que sont les persona. Les deux regards confluent sur la Psociété. Servez-vous en. Elle est, en thérapeutique, fort utile.

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