Sens de la vie: attention à l’effet-connaissance

Cet article est une application du double regard au sens de la vie. Lisez l’article dédié pour vous initier aux rôles des regards descendant et ascendant, dédoublement permettant de résoudre bien des contradictions en mettant la contradiction au coeur de l’essence des choses.

Le pessimisme est-il pervers?

La vie a-t-elle une signification ? Une exploration de la philosophie académique sur le sujet montre qu’il est impossible de dénoncer rigoureusement les pessimistes, c’est-à-dire démontrer que l’existence a davantage de valeur que la non-existence. Comment la philosophie peut-elle conduire à pareille impasse alors que toute personne en bonne santé mentale éprouve spontanément du plaisir à exister ? Faire écran à l’impression par la réflexion… Existerait-il un “dark side” de la philosophie qui conduirait à occulter l’expérience corporelle pour mieux dénigrer la valeur de l’existence ?

Cette perversion est celle du regard descendant exclusif. Il faut imaginer le profil du philosophe possédé par ce regard : solitaire, lourdement névrosé, n’ayant d’autre échappatoire à son besoin d’exister qu’en prétendant détruire jusqu’à l’existence d’un tel désir, puisque les autres sont persuadés qu’il est une évidence. Profil des grands pessimistes, Schopenhaueur, Tolstoï, Bahnsen, Malebranche… D’autres sont résilients et tiennent un discours proche sans signe d’y croire une seule seconde : Rousseau, Camus, Cioran…

Ce n’est pas une contradiction car le double regard est par nature contradictoire. Il héberge intrinsèquement cette incompatibilité. L’artificialité vient justement de donner l’exclusivité à la représentation des choses comme le font les pessimistes radicaux. Notons qu’en occultant les données essentielles de l’expérience, ils se placent hors du champ de la philosophie et rejoignent les éliminativistes dans une vision du monde réductrice.

La conscience est une valeur fondamentale

L’esprit n’est pas séparé du corps. Tout être humain éprouve cette conscience fondamentale. Le philosophe qui veut s’en émanciper n’a-t-il pas une hâte excessive, celle de rejoindre le panthéon des penseurs, définitivement séparés de leurs enveloppes physiques ? La frontière est mince entre pessimistes et théistes. Les premiers sont des théistes non déclarés, persuadés que le Diable a gagné la bataille divine.

L’autre catégorie de philosophes qui déclarent l’absence de toute signification à la vie sont les matérialistes, en particulier éliminatoires, qui font de l’esprit une illusion. C’est l’expression du regard ascendant exclusif. Cohérence tout aussi difficile à dénoncer : les processus de la vie se contentent de se dérouler, sans que la moindre intention puisse s’y déceler. La valeur de la vie est aussi illusoire que l’esprit. Épiphénomène que nous pouvons apprécier mais qui n’est pas nécessaire.

Ni intention, ni valeur, ni signification… parce qu’une facette de l’esprit se refuse à reconnaître l’existence de l’autre. Monisme désespéré parce qu’artificiel. Heureusement pour l’éliminativiste, le désespoir est du côté qui n’existe pas…

L’inquiétant BB-Savoir

Ce problème de la signification de la vie est inquiétant pour la philosophie. Il montre que cette discipline, parfois, loin de nous faire réfléchir, produit un ‘effet-connaissance’ dévastateur. Être persuadé d’avoir acquis un savoir plus élevé interdit désormais d’accéder aux défectuosités fatales qui entrent dans la constitution d’un tel savoir. Plus il est académisé, ou divinisé, plus il est bétonné dans l’esprit de son propriétaire.

Aucune discipline n’est à l’abri de l’effet-connaissance. Dans ma spécialité je l’appelle la “médecine fondée sur les oeillères” ou BB-Médecine (d’après la traduction anglaise Blinder-Based-Medecine). Le jeu de mots avec bébé-médecine, pointant l’infantilisme de ces pratiques, est voulu bien sûr. L’équivalent général est BB-Savoir (ou BBK en anglais, Blinder-Based-Knowledge), un néologisme que vous pouvez opposer au snobisme intellectuel…

…et garder votre impression ante-philosophique que chaque jour vaut la peine d’être vécu, car cette impression nous est donnée. « Je » est juché dessus. Tandis que la réflexion à ce sujet, elle, se construit. Sans éliminer l’impression !

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Review of Paul Edward, “The Meaning and Value in Life”
The Knowledge-Effect, John Shand

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