Sociologie: Les transclasses

Excellente interview de Chantal Jaquet à propos des classes sociales sur Philomag. En voici le résumé augmenté :

Classes et transclasses

La notion ‘classe sociale’, comme toute catégorisation, cherche à opposer différentes situations, économiques (pauvres et riches), culturelles (locaux et immigrés), intellectuelles (niveau d’éducation), professionnelles, symboliques (porter le nom de Rothschild ou Dupont). Réalité sociale profonde mais pas figée pour autant. Elle ne suffit pas à définir une identité.

‘Transclasse’ désigne de façon neutre les migrants entre classes sociales. Les autres termes sont péjoratifs (destitution, déclassement, parvenu) ou appréciatifs (self-made man). Ils sont aveugles aux subtilités du transfert de classe. Les bénéfices masquent les pertes (nouveau riche ayant perdu son éthique), et vice versa (quitter un poste bien rémunéré affranchit de pressions moralement insupportables).

Chantal Jaquet critique la méritocratie, qui place la réussite de l’individu dans ses talents propres. En fait à la naissance l’enfant « n’a rien ou presque. Tout ce qu’il est et tout ce qu’il devient, il le doit d’abord à l’éducation de sa famille, à son milieu social, à l’école […] on est fait des autres, on est tissé par les autres ». Comment expliquer alors les transclasses autodidactes ? Chantal critique dans la foulée la notion de volonté. Éclairage simpliste sur les trajectoires. Pour qu’existe une ‘volonté de quelque chose’, il faut que ce quelque chose ait émergé. De rencontres et facteurs préalables. Détermination complexe, allant jusqu’à la détermination sexuelle : une homosexualité décriée fait prendre des voies de traverse.

Chantal Jaquet propose ainsi de remplacer ‘identité’ par ‘complexion’. La puissance d’agir se constitue toujours dans un contexte. L’identité peut se défaire et se reconstruire. Chantal pense que « c’est une fausse route que d’opposer classe, genre, race, car en réalité, il n’y a pas de hiérarchie entre les luttes. Une lutte ne doit pas en évincer une autre. Parce qu’en réalité, cela reviendrait à mettre en sommeil et en souffrance une partie de ce qui nous constitue ».

Très belle conclusion de Chantal sur son parcours personnel. Il lui a semblé nécessaire, pour être libre, de « rompre avec l’enfermement, l’entre-soi du monde de la bourgeoisie, qui est une forme d’aliénation et d’amputation, parce que c’est au fond une vie factice que de ne pas voir le monde tel qu’il est, de ne pas voir la misère, l’injustice, et de se murer dans cet égoïsme possessif, qui rétrécit l’être humain aux frontières de l’ego ».

Comment aller plus loin ?

Ne confondons pas la chose avec sa constitution. Une identité est complexe mais c’est aussi une fusion. Chacun s’éprouve unifié mentalement plutôt que mosaïque de ces influences décrites par Chantal. La plupart des essayistes négligent le regard ascendant mais ici c’est le descendant que Chantal occulte. Nous sommes aussi, intimement, la manière dont les gens nous considèrent. Simplification grossière mais qui fait partie de notre personnalité.

La fusion identitaire est un niveau d’expérience mentale indépendant de ce qui l’a constitué. Niveau de synthèse symbolique et autonome. Il est une approximation de notre passé personnel, en ce sens qu’il attribue des poids différents aux évènements survenus. Certains sont idéalisés, d’autres éliminés. L’identité n’est donc pas le simple mélange de toutes les influences rencontrées. Cette franche indépendance nous rend imprévisibles. C’est aussi là qu’il faut situer la volonté et la liberté d’entreprendre. Authentique autonomie qu’il ne faut pas réduire à ses composants comme le fait Chantal.

Enfin il y a bien une hiérarchie entre les conflits. Si ce n’était pas le cas, nous serions impuissants à les résoudre, car leurs solutions se gênent mutuellement. Double regard sur la hiérarchie : En ascendance c’est la fondamentalisation des problèmes (quelle est la cause originelle?). En descendance c’est la prioritisation (quel est le problème prioritaire pour mes intentions?).

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