Seuls dans l’Univers??

Abstract: Certains prédisent que nous sommes seuls dans l’Univers, d’autres que la vie y est banale. Pourquoi tant d’écart ? Il tient à une mauvaise compréhension de la complexité, et de qui observe, le Simple ou le Complexe.

L’infini est-il suffisamment grand?

Jean-Pierre Bibring, astrophysicien à Paris-Saclay et à l’allure d’un Einstein réincarné, nous fait une prédiction décourageante ou rassurante, selon que nous sommes fans des aliens ou inquiétés par eux. Le titre de son livre, ‘Seuls dans l’Univers’, est éloquent. Il ne s’attend pas à croiser la bonne bouille d’E.T. au coin du bois. Ni au coin de la Forêt Sombre —livre de SF dans lequel Liu Cixin fait l’hypothèse que l’absence de signaux cosmiques intelligents s’explique par la crainte généralisée d’être repérés par une espèce galactique invasive; seule l’Humanité a eu l’idée stupide du programme SETI! Les amateurs de SF ne sont pas seuls à s’imaginer un cosmos richement peuplé. Beaucoup de scientifiques que l’on pourrait appeler “infinitistes” parient sur l’idée que l’étendue stupéfiante de l’univers rend quasi certaine l’existence de nombreux foyers de vie, sans préciser quel degré d’évolution ils peuvent atteindre.

Une science pas si continue

De ces avis radicalement divergents, quel est le bon ? Pourquoi d’ailleurs divergent-ils autant ? La science se montre généralement plus consensuelle. Son problème, ici, est l’absence de passerelles clairement établies entre les disciplines. Par quoi l’astrophysique et la biologie sont-elles séparées ? Une grande hauteur de complexité. Or la dimension complexe n’est pas théorisée en science. Les mathématiques la voient se dérouler, les consciences en éprouvent les apparences, mais rien ne vient unifier ces regards. Chaque discipline opère une réduction sur sa part de complexité. Elle définit arbitrairement ses processus élémentaires et y ancre ses modèles. Nous savons sauter d’un endroit à l’autre dans la dimension complexe; mais cette dimension, personne ne connaît sa nature profonde.

Bibring, comme la plupart des scientifiques, est un ontologiste. Il déroule la complexité de sa base physique fondamentale. Avec ce regard ascendant, du simple vers le complexe, il voit une diversification croissante des choses, au point que l’être humain n’est trouvé qu’après un multiple vraiment grand de possibilités. Par “vraiment grand”, il faut entendre un nombre qui n’est pas l’infini mais qui flirte avec lui. Même le vaste univers est incapable d’héberger un nombre pareil. D’où la conclusion de Bibring : l’humain qui fuira la Terre se trouvera bien solitaire.

Deux manières d’arriver à l’Élu

À l’envers des ontologistes, les idéalistes et les théistes prennent l’humain réalisé comme point de départ dans la dimension complexe. Ils s’y dirigent maintenant avec les modèles contemporains plutôt que les révélations mystiques; néanmoins les processus réels doivent parvenir impérativement au résultat constaté : l’humain est là, et bien là. Or la chaîne de complexité est tellement riche de bifurcations que cette création n’a pas pu survenir par hasard. Une Main l’a guidée. Les théistes remplacent les forces physiques par l’Intention Divine mais le résultat est le même : l’Univers est un écrin pour le seul être humain.

Un oubli qui change tout

Les uns comme les autres se trompent sur une propriété essentielle de la complexité : elle n’est pas continue. Elle franchit des niveaux de stabilité, qui sont les fameux socles des disciplines scientifiques évoqués à l’instant. Lorsque les processus physiques parviennent à l’un de ces niveaux de complexité, ils ne reprennent pas leur chaotique course précédente; ils maintiennent ce niveau. Un proton, de notre point de vue, est presqu’éternel. Alors qu’il est un fouillis d’interactions quantiques en agitation perpétuelle. Un nombre inouï de possibilités convergent en un élément stable : le proton.

Niveau des plus solides, mais pas le seul. Quand la chimie assemble des molécules, elle arrive sur des molécules auto-réplicantes. Cette propriété n’est pas “oubliée”. Les molécules auto-réplicantes deviennent naturellement plus nombreuses. À leur tour, elles bâtissent des organisations stables.

Le chaos est lentement policé. Plus la séquence des évènements avance, plus elle a des chances de rencontrer une stabilité. Un attracteur de complexité s’établit. Il sert d’ancre à une nouvelle collection d’éléments, de relations, de contextes. La progression vers l’être humain n’est pas l’errance entre des myriades de possibilités mais une série de sauts dans la complexité.

Principe de réalisation multiple

Une autre caractéristique majeure de la complexité est que des niveaux différents peuvent établir des modèles relationnels identiques. Principe de réalisation multiple. C’est de cette manière qu’une discipline scientifique parvient à trouver de nouvelles théories en piochant des idées chez les autres. La complexité n’est pas vraiment un arbre aux ramifications infinies et aux feuilles toutes différentes, comme le pense Bibring. L’arbre est plutôt une bizarre espèce extra-terrestre —ça alors!!— dont les branches refusionnent après s’être séparées, formant de nouveaux troncs à distance du tronc principal. La sève peut prendre des chemins différents et parvenir au final à des feuilles assez ressemblantes.

Nous avons confirmation, au sein même de l’espèce humaine, de ces convergences. La complexité se poursuit de la biologie dans le mental et ses étages conceptuels. Or cette complexité abstraite formée par les neurones converge sur des mèmes partagés, moins durables que les protons mais assez stables quand même. Les chemins civilisationnels, les évolutions linguistiques, passent par les mêmes carrefours chez des peuplades qui ne se sont jamais rencontrées.

Une foule d’espèces au coeur de la complexité

Que retenir en bref ? Que l’univers explore effectivement un nombre incommensurable de possibilités mais qu’il s’arrête volontiers sur les plus stables, qui se répliquent un peu partout en son sein. L’humain n’est ni à l’image d’une Volonté Divine ni le fruit du hasard. ‘Autopoïétique’ est le meilleur adjectif pour nous décrire. Et l’autopoïèse a certainement installé bon nombre de collègues dans l’univers, potentiellement avec la même allure générale. Opportunité prochaine d’étendre nos réseaux sociaux? Malheureusement il n’est pas sûr qu’ils aient des antennes ou des moteurs spatiaux meilleurs que les nôtres. Continuons à lire de la SF pour en savoir plus.

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« La vie n’existe que sur Terre », Science & Vie HS 305, 2022
Seuls dans l’Univers, Jean-Pierre Bibring

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